Un pont trop loin...Casque et CC du JR85 à Vic sur Aisne, 12.9.14

Bonjour,

Je vous présente aujourd´hui un ensemble-trophée nominatif provenant des combats accompagnant la retraite allemande sur l´Aisne en septembre 1914, un ensemble pour moi 100% local et ceci à plusieurs titres! 
Il s´agit d´un casque et de son CC nominatif, les deux pièces homogènes, nées ensemble et limpidement régimentées à la 9/JR85 (IIIB) en garnison à Kiel, aujourd´hui "capitale régionale" du Land du Schleswig-Holstein, Land où je suis domicilié depuis 37 ans. Le reste du régiment, les I et II/JR85 étaient encasernés une trentaine de kilomètres plus à l´ouest, à Rendsburg, ville située sur le canal de la Mer du Nord à la Baltique. Les photos de la vente très mal faites montraient un casque nécessitant quelques "soins cosmétiques" ainsi que d´une petite remise en forme. Le casque avait malheureusement perdu son jonc arrière, sa pointe avait subi une torsion sur l´arrière vraisemblablement suite à un choc, la cocarde de Prusse n´était apparemment plus présente, et chose pour le moment troublante, des chiffres en feutrine rouge "85" cousus sur le CC ayant une teinte et une apparence bien trop "fraîches"   Nous y reviendrons plus loin en détail.

Le contexte de découverte et d´acquisition de cet ensemble est tellement rocambolesque, voir "tordu" (les Allemands diraient "skurril"), qu´il mérite d´être raconté 
Cet ensemble nominatif, parfaitement tracable fut mis en vente sur ebay Allemagne, fin octobre 2022, le vendeur étant lui même domicilié à...Kiel. Une coincidence à la fois bluffante et troublante, car nous le verrons dans l´enquête suivant la présentation de l´objet, le porteur du casque, lui aussi originaire de Kiel, fut capturé lors de la retraite suivant la défaite de la Marne et ne ramena certainement pas son casque dans ses foyers lors de son rapatriement à ses foyers en octobre 1919. Nous sommes donc là très vraisemblablement en présence d´un objet qu´un collectionneur kielois specialisé dans le domaine des objets historiques ayant un rapport avec cette ville, dut rapatrier de France à un moment donné. 

Prenant contact avec le vendeur via la messagerie ebay, ce dernier (qui s´avéra plus tard, être soit-disant le père du vendeur) me donna rapidement un numéro de téléphone et me fit aussitôt une offre par MP totalement exagérée (2500 Euro) que je refusa. Il me souligna cependant son vif intérêt pour une remise en main propre, hors ebay et pour ne pas avoir à empaqueter l´objet.
Ce bel ensemble étant tout de même en plein dans mon domaine de prédilection et en plus du local pour moi, je mis une enchère bien inférieure à sa proposition mais quand même assez conséquente représentant le prix maximum que j´étais prêt à payer et fut aussitôt le meilleur enchérisseur. 
Je me décida tout de même à appeler le vendeur le jour suivant pour lui souligner que sa proposition faite par mail était bien trop exagérée, vu l´état du casque, et pour tenter un marchandage, étant moi-même maintenant le meilleur enchérisseur. J´eu alors soit disant maintenant le fils au téléphone qui me raconta que lui et son père sont spécialisés dans les vide-maisons mais que ce casque provient en fait du propre grand-père collectionneur décédé, qui était extrêmement riche, possédait une très grande collection revendue en grande partie avant sa mort, et que ce casque était la toute dernière pièce conservée...Blablabla...
Il m´assura qu´entre temps une autre personne leur aurait même proposé 2900 Euro et que le père n´était maintenant plus prêt à lâcher le casque en dessous de 3500 Euro Il était également persuadé que la vente se terminerait vraisemblablement vers 4000, voire même peut-être 4500 Euro 
La conversation fut alors rapidement terminée...Peu après avoir raccroché je pu alors immédiatement observer l´oeuvre classique d´un pousse-enchère qui se tâta lentement mais sûrement à mon enchère, pour finalement juste la dépasser d´un poil.
 
Comme je suis d´un naturel fouilleur, je me mis alors aussitôt à observer diverses autres bricoles que ce même vendeur offrait sur ebay et je pu rapidement constater que là aussi, un pousse enchère avec exactement le même nombre d´évaluations se plaisait à faire le même jeu...Certainement pas l´effet d´un hasard    
Je redécrocha alors mon téléphone et confronta le vendeur à mes observations. Il mima d´abord le plus grand des étonnements, pour ensuite me raccrocher au nez en m´injurant et me traitant de menteur   Dans la foulée, dégoûté, je retira mon enchère, faisant retomber le prix du casque de plus de la moitié du prix affiché...
Quelques minutes plus tard, voilà qu´un second enchérisseur bidon se met à placer une enchère représentant exactement le montant de ma propre enchère que je venais juste d´annuler..

Totalement dégoûté, je laissa la vente se terminer et pu observer que personne ne se décida à surenchérir au-delà de cette enchère bidon, les autres potentiels intéressés ayant eux aussi très certainement suivi l´évolution bizarre des enchères et donc senti anguille sous roche.
Pensant l´affaire classée, voilà que quelques jours plus tard, un soir, je recois un appel téléphonique du vendeur qui avait noté mon numéro... Le voilà tout d´abord qui s´excuse auprès de moi en essayant de tourner l´affaire à la dérision en la relativisant et avouant même qu´il avait poussé le poker trop haut...  Il me demanda alors si j´étais encore intéressé   Je lui rétorqua que oui, mais maintenant à mes propres conditions, à cause de cette infâme tentative d´arnaque et sachant surtout qu´une nouvelle vente sur ebay susciterait encore plus de soupcons...Par ailleurs, je pouvais particulièrement bien remarquer que le vendeur était très "chaud" pour se séparer le plus rapidement possible de cet ensemble...  J´eu donc la chance de pouvoir maintenant dicter mon propre prix 
Nous pûmes donc convenir d´une remise en main propre dans un quartier portuaire de Kiel pour une des soirées suivantes. 
Mon épouse m´accompagna et resta dans la voiture, pour minimiser d´éventuels risques, ne sachant pas du tout sur qui j´allai peut-être tomber, ce qui s´avéra superflu. Après avoir attendu presque une demi-heure dans l´obscurité froide et humide, voici qu´un jeune type BCBG élégamment vêtu, ne dépassant pas la trentaine, très poli, me laisse rentrer dans son appartement hyper-moderne et luxueux et entâme une agréable causette   il me raconte qu´il est en fait spécialisé dans la vente de meubles design. Toujours très soucieux de demander un maximum d´infos sur l´origine et la provenance de mes objets, je pu remarquer qu´il resta volontairement très vague dans ses réponses, laissant finalement sous entendre que ce casque recouvert de son CC fut "trouvé" dans un appartement vide suite au décès d´un vieux monsieur, ensemble avec d´autres objets de collection, militaria mais également moultes autres objets de collection très variés essentiellement focussés sur l´histoire de la ville de Kiel. Il vend en fait ce casque pour un copain qui le tient soit-disant lui-même de personnes proches du milieu tzigane... Suite à tout le baratin entendu, je pense in fine que la découverte de ce casque ne dut pas se faire dans des conditions 100% orthodoxes...
Lors de cette remise en main, je fus cependant agréablement surpris que dans un petit carton contenant diverses petites décorations allemandes 14-18 classiques, se trouvait la cocarde de Prusse manquante sur les photos de la vente.

Voici quelques photos de la vente ebay montrant les chiffres bidons en feutrine rouge qui furent définitivement cousus post WWI sur le CC de manière vraiment très archaique par un collectionneur apparemment très soucieux de vouloir absolument souligner l´appartenance locale de cet ensemble au JR85 et au lieu de garnison de la ville de Kiel. Fut-ce l´oeuvre du vieux monsieur, apparemment spécialisé dans la collection d´objets ayant un lien très local avec la ville de Kiel chez qui fut trouvé soit-disant le casque? Nous ne le saurons jamais, ni d´ailleurs les circonstances exactes de "trouvaille"...




Les pourtours intérieurs du chiffre "8" ne sont même pas cousus et le reste des coutures est vraiment très dégueu...



Une photo du revers du CC révèle deux choses: 
1) Les coutures modernes ont une couleur très vive tirant sur le pink. Par ailleurs, les chiffres rouges cousus d´avant guerre ont toujours une couture à la machine très soignée
2) On remarque très bien quelques restes de fils originaux dont la teinte a passé au rouge orangé, comme sur les vrais chiffres d´époque. Les chiffres en feutrine d´origine ont très vraisemblablement été arrachés par le porteur bien avant sa capture qui, nous le verrons, se produisit le 12 septembre 1914 sur la rive sud de l´Aisne, à Vic sur Aisne.
D´autres exemples de CC nominatifs à chiffres rouges nous ont permis de constater que les arrachements de chiffres se produisirent dès la seconde quinzaine d´août.




Deux photos prises des chiffres fake que j´ai retirés avec la plus grande des précautions et respect de la trame du CC montrent clairement que ces chiffres n´avaient même pas le renfort cartonné autocollant que l´on aurait été en mesure d´attendre sur des bons chiffres.




Quelques photos de la vente du casque dans son état de découverte, avant son passage entre mes mains pour une restoration soignée et respectueuse de l´objet:







Et voici maintenant l´objet restoré, sommairement nettoyé, complété de sa cocarde de Prusse que le vendeur avait retrouvé dans un carton à part, avec pointe bien droite et ajout d´un jonc arrière à la bonne longueur et d´une patine homogène aux autres garnitures:


























La facture des marquages de compagnie du III/JR85, vraiment très unique à ce bataillon, avec la compagnie et la date d´affectation à cette compagnie dans un même cartouche.




Le CC possède encore bien son renfort en cuir dans la pointe, ses 5 crochets cousus d´origine et se distingue par la particularité suivante: plus grand que le casque, il a été adapté à la taille de ce dernier par deux coutures latérales en biseau, afin d´éviter qu´il ne flotte sur le casque. 








La suite bientôt pour une enquête sur la destinée du porteur et les circonstances de sa capture, enquête qui fut très complexe au début à cause d´un manque d´informations dans les archives de recherche habituelles.
Fort heureusement, un membre de ce forum ayant accès à certaines archives non accessibles au public put me sauver la mise. Un autre membre sympathique de ce forum eu l´immense gentillesse de se rendre sur les lieux des combats et de me fournir des photographies actuelles des lieux.
Je ne manquerai pas de les remercier en temps donné 

Bonjour Rheinbaben,
Encore une enquête passionnante à suivre
Hâte de lire la suite.

Cordialement Charpentier.

Bonsoir,
Oui, tout à fait.

Bonsoir,

Quelle histoire !
Ce fut passionnant à lire.

Cordialement

Bonsoir Rheinbaben,

tout d'abord, très belle restauration du casque

Comme toujours, j'attends la suite avec impatience !

Cordialement

La suite, la suite !!!
Cordialement.
O. Lamy

Cette fois, ...
ça commence par un polar...   0n campe le décor :

Une rue embrumée,  dans les bas fonds portuaires de Kiel... par une nuit... sans lune... cadencée par les hauts-talons des tapins sur le trottoir... éclairée par l'incandescence des clopes au bec...des pieds de grue cendrées.  On est en janvier, Rheiny attend dans sa voiture...tout feu éteint. Il a rencart, avec un inconnu, proche du milieu "nomade", spécialisé dans le recyclage des objets superflus   Soudain, un frisson d'angoisse lui traverse l'esprit, tandis qu'un fourmillement de froid le saisit tout entier... Il grelotte. Rheiny est transit de peur.  Une éruption de sueurs froides perle sur son front. Saumatres, elles lui brûlent les yeux...
Heureusement, Frida, abonde  (faute d'être blonde)  pour le rassurer et le réchauffer...
Parano imaginaire. Son rencard est un beau jeune homme, de bonne famille. Poli, cultivé, éduqué, et portant bien costume trois pièces, cravate et chaussures vernies...
Un peu bonimenteur tout de même, le beau gosse...

FIN du prolégomène. La suite à suivre, avec l'histoire du casque.

Un casque définitivement chez toi, cochant toutes les cases, avec son CC et nominatif. C'est devenu rarissime de trouver de tels ensembles sur ebay. Vue la trajectoire du porteur, cela ne peut être qu'un trophée resté en France puis passé par le circuit de la collection pour retourner au Vaterland kielois.

Bonjour,

Merci pour vos interventions. 
L´interprétation riche en images de Cloclo mérite cependant le prix Goncourt, sauf que cette "omineuse" remise en main propre, heureusement sans rififi   , se déroula en novembre, mois encore bien plus sombre , aussi appelé le "mois des morts"   Par ailleurs, le quartier portuaire mentionné (rive ouest de la baie de Kiel) est un ancien terrain de la marine de Kiel où se trouvait un hôpital militaire. Celui-ci a été rasé et a laissé la place à un lotissement d´appartements exclusifs avec vue sur la baie de Kiel, juste en face de l´autre quartier portuaire plus populaire  (rive est de la baie de Kiel) où sont situés les chantiers navaux, et avant les bombardements de la seconde guerre, également les quartiers pauvres des travailleurs et artisans. Nous verrons plus loin que le porteur du casque, un artisan, était justement domicilié longtemps dans ce quartier populaire 
J´ai beaucoup ri en lisant la verve de notre vieux Méro!   

Allez, je continue, moins "polarisé" 

La principale et grande difficulté que je rencontra  dès le début de mes recherches concernant ce DETLEFSEN de la 9/85, fut de déterminer la date et le lieu exacts d´une éventuelle capture.

Certes, je trouvais rapidement un Gefreiter Hermann DETLEFSEN de la 9/85 originaire de Kiel dans les VL, mentionné comme en captivité, mais cette mention est très tardive, car publiée le 6 décembre 1915:

https://des.genealogy.net/search/show/3106107



De manière générale, une publication des VL se réfère à un événement s´étant produit en moyenne entre 3 et 4 semaines plus tôt, ce qui signifierait dans ce cas, que cet homme soit tombé en captivité en novembre 1915, période de guerre de position où le JR85 se trouvait en Champagne, à Sainte-Marie-à-Py. Selon l´historique du JR85, cette période fut très calme et les compagnies du régiment furent essentiellement occupées à nettoyer le champ de bataille, enterrer les nombreux morts des combats de septembre, récupérer équipement et armement dispersés sur le champs de bataille mais aussi aménager des baraquements de repos en arrière des lignes.

Après m´être rendu sur le site de la CICR pour essayer d´en savoir plus, je pu effectivement trouver d´abord une fiche de tête pour cet homme (Hermann):


Cette première fiche me renvoya cependant vers une seconde fiche car, certainement suite à une confusion avec un autre soldat, cet homme fut ensuite classé sous le prénom Karl. 
Cette fiche porte cependant également en premier le prénom Hermann. On y apprend que cet homme est né le 15.6.91 et qu´il est caporal (Gefreiter) lors de sa capture. 
On peut donc déjà se faire une idée approximative de son année d´incorporation avant la guerre, sachant qu´il devait être en plein service d´active à la 9/85 en aôut 1914 car il n´est pas mentionné dans les fiches comme réserviste. Sachant que les recrues d´active considérées comme plus "capables" étaient d´abord promues au grade de Gefreiter après environ 6 mois de service d´active pour être ensuite promues au grade d´Unteroffizier à la fin de leur service de deux ans et juste avant d´être versé dans la réserve et sachant que ce casque porte une nominette de simple Musketier, on peut en déduire que DETLEFSEN commenca son service de deux ans, soit en octobre 1912, soit en octobre 1913. 




Cependant, cette seconde fiche ne nous apporte pas plus d´éclaircissement concernant une éventuelle date mais aussi lieu de capture, car le tout premier code de renvoi (P 3637) nous amène à une date d´internement du 31.12.14  au camp de Coetquidan...Le mystère reste donc encore complet...



Par un très heureux hasard (le hasard existe t´il vraiment?), Monsieur Jacques Marcel Renard, docteur en Histoire de l´université Paris-Sorbonne, informa en avril 2023 les membres de ce forum de la parution de son dernier ouvrage traitant des prisonniers allemands en captivité francaise:

https://lagrandeguerre.1fr1.net/t140718-les-prisonniers-allemands-en-mains-francaises

M´étant procuré cet ouvrage très intéressant, je pu échanger un peu avec lui et grâce à son accès à certaines archives non accessibles au public, il pu me fournir la fiche basique de renseignements de la CICR dressée immédiatement après la capture de DETLEFSEN. Je tiens ici à le remercier une nouvelle fois très chaleureusement.

Voici cette fiche qui fut la clé de l´énigme:



Même si sa date de naissance diffère de quelques jours, 12 juin au lieu du 15 juin 1891 (certainement une erreur de retranscription, comme bien souvent), on apprend enfin que DETLEFSEN fut capturé le 18.9.14 à Vic sur Aisne. Il portait le matricule N° 201, ce qui confirme sa présence au JR85 à la mobilisation (les numéros de matricule d´août 1914 ne dépassant pas le numéro 260 qui était l´effectif d´une compagnie à la mobilisation). On peut également observer en haut de fiche une seconde orthographe erronée de son patronyme comme étant DETTLESEN.

Une nouvelle recherche sous ce patronyme sur le site de la CICR nous amène à une troisième fiche signalétique:



Elle mentionne un nouveau code de renvoi (P 1464) qui nous amène maintenant à une date d´interernement plus précoce au camp de Coetquidan, le 02.10.14.




Il est maintenant chose très aisée de relater les circonstances de capture de notre homme mais aussi de synthétiser brièvement les combats auquels il prit part entre la mobilisation et sa captivité sur les rives de l´Aisne après la déroute de la Marne.

Avant de nous focusser sur son départ en guerre, il est intéressat de mentionner que les "Adressenbücher" (annuaires) de la ville de Kiel, aujourd´hui tous digitalisées, nous permettent de suivre Hermann Karl DETLEFSEN chaque année comme sa propre ombre!
Ainsi, on le trouve la toute première fois dans l´annuaire de 1908, domicilié à la Jachmannstr. 18. il y est mentionné comme "Tischlergeselle" (apprenti-charpentier). Il est alors âgé de 17 ans. 



On le retrouve dans chaque annuaire de 1909 à 1915 avec un changement d´adresse dès 1910, à la Grabastr. 36.
Ci-dessous le dernier annuaire dans lequel est mentionné DETLEFSEN, l´année 1915 qui récapitule en fait les données de l´année 1914. Pour les années 1916 à 1918, il ne sera plus mentionné. Nous verrons cependant plus loin qu´il reapparaîtra dans les annuaires de Kiel dès la fin 1919 et ceci jusqu´en 1938, nous permettant de suivre son évolution professionnelle, ses changements d´adresse consécutifs mais aussi l´amélioration de sa situation professionnelle car il deviendra propriétaire immobilier.



Un plan de la ville de Kiel datant de 1936 sur lequel sont entourés en rouge le quartier où j´ai récupéré le casque et en bleu, le quartier populaire où se trouvait la Jachmannstr. et la Grabastr., domiciles d´avant guerre de DETLEFSEN:



Un zoom du quartier pauvre des chantiers navaux, avec encadrée en noir la Jachmannstr. et encadrée en rouge, la Grabastr:




Venons-en maintenant à août 1914...

Le départ du III/JR85 de Kiel eu lieu le 6 août 1914 après une courte cérémonie présidée par le Prince Heinrich von Preußen qui donna ses bon voeux au bataillon kielois.
L´effectif total du régiment se montait á 83 officiers, 3241 hommes de troupe et 237 chevaux ainsi que 6 mitrailleuses.
L´acheminement par voie ferrée dura 33 heures et se fit par Hambourg, Münster, Aix-la-Chapelle.
Le JR85 faisait partie de la 18ème Infanterie Division du IX Armee Korps. Cette division comprenait la 35ème Infanterie Brigade (JR84 et FR86) ainsi que la 36ème Infanterie Brigade (JR31 et JR85).
Le 11 août au matin, le régiment se met en marche en direction de Liège (Lüttich) où les bataillons auront essentiellement la mission d´assurer la couverture de l´artillerie allemande lors du bombardement des Forts. 
Le 15 août, le JR85 poursuit son avancée et subit son baptême du feu le 18 août lors de la bataille sur la Gette, à Tirlemont. Ses pertes se montent à 11 officiers et 219 hommes de troupe. Le 23 aôut, le régiment est engagé dans les combatd de Mons et perd une nouvelle fois 6 officiers et 184 hommes. 
Le 25 août, la troupe traverse la frontière francaise . Le 31 août, l´Aisne est traversée au nord de Coeuvres-et-Valsery. Les 2 et 3 septembre, dans les environs de Chateau-thierry, le JR85 se heurte à des détachements de cavalerie francais qui cause aux Allemands la perte de 47 hommes. 
Sous une chaleur torride, les compagnies du JR85 poursuivent leur marche pour atteindre le secteur Montceaux - Esternay- Courgivaux, le 6 septembre. Après de furieux combats coûtant au JR85 2 officiers et 189 hommes, l´ordre de repli est donné le 7 septembre à 8 heures du matin. Après une marche exténuante de 2 jours, la troupe fatiguée et démoralisée par ce repli inexplicable pour elle, arrive sur l´Ourcq le 9 septembre, mais ne prend pratiquement pas part aux combats s´y déroulant, essuyant juste quelques volées de shrapnels. La retraite se poursuit par Feigneux, Morienval pour bivouaquer la nuit du 11 septembre dans la région de Pierrefonds.
Le 12 septembre, vers 3 heures du matin, le JR85 est alerté et doit se mettre en marche pour traverser l´Aisne. Tandis que le I/JR85 (sans la 3K), isolé du reste du régiment se dirige vers Attichy pour y traverser l´Aisne, le reste du régiment prend une direction plus à l´est en longeant la rive sud de la rivière sur la route menant à Soissons et marche vers Vic-sur-Aisne en traversant Croutoy et Jaulzy.
Ses colonnes avancent sous la formation suivante: en tête, la colonne légère de munitions (Leichte Munitionskolonne), suivie de la 1ere et 2ème batterie du I/FAR45, de la MGK85, du III/85 de DETLEFSEN avec la 3/85, e la 3ème batterie du FAR45, le II/85 en fin de colonne.
Voici une carte de la situation tirée de l´historique du JR85:




À 10 heures, alors que la Leichte Munitionskolonne est en train de passer le pont routier de Vic, les arrières de la formation sont attaqués tout d´abord par un détachement de cyclistes francais et par quelques mitrailleuses. Pour compliquer la chose, les véhicules de la Sanitätskompanie N°1 bloquent la route. Les pièces de la 1/FAR45 sont alors dételées et mettent et font taire provisoirement le feu francais, appuyées par les 4 compagnies du III/85. La 1ère batterie du FAR45 est reattelée et franchit à son tour le pont de Vic. Lorsque les canons de la 2/FAR45 passent à leur tour le pont, la colonne allemande est prise de nouveau sous d´importants feux de mitrailleuses provenant des hauteurs surplombant le quartier sud de Vic-sur-Aisne,  dénommé La Vache Noire. Ce sont des éléments du 35ème RI de Belfort, appuyés par quelques pièces de canon de 75 etb d´éléments du 42ème RI de Belfort et du 44èe RI de Lons le Saunier, qui essayent d´enrayer le passage des troupes allemandes sur l´Aisne. La 2/FAR45 parvient à passer sur l´autre rive de la rivière, couverte par les pièces de la 3ème batterie qui sont à leur tour désattelées et qui ripostent en direction des hauteurs. Au même moment, le II/85 et la 9/85 de DETLEFSEN sont envoyés à la Vache Noire et escaladent les hauteurs pour prendre eux aussi les éléments du 35ème RI sous leur feu concentré. Pendant ce temps, le III/85 (sans la 9K) passe également le pont et se réfugie sur la rive nord du fleuve. 
La 3/FAR45 subit en peu de temps des pertes importantes, soit 43 chevaux, 4 artilleurs tués, 20 blessés. Les munitions sont rapidement épuisées mais les artilleurs récupèrent les fusils des morts du JR85 et défendent farouchement leurs pièces. Juste avant midi, une subite averse orageuse se met à tomber, donnant un certain répit aux artilleurs et leur permettant de faire traverser leurs derniers canons, aidés d´une part par le personnel des autres pièces ayant déjà franchi le fleuve et d´autre part par les hommes de la 9/85 qui désattèlent les chevaux d´une cuisine roulante et d´une  "Patronenwagen" (chariot à cartouches).Le FAR 45 ne perd qu´un seul attelage et 3 chariots à munitions. 

Une fois toutes les pièces des batteries du FAR45 saines et sauves, les hommes du II/85 et des 3 et 9/85 commencent également à se replier, certains éléments sur le pont routier de Vic tandis que d´autres éléments essayent de prendre un chemin plus court en empruntant le pont ferroviaire  plus à l´ouest, un pont reliant l´île de l´écluse aux deux rives. (Pont reconstruit entre les deux guerres, redétruit en 1940, reconstruit après 1945 et qui n´est plus aujourd´hui qu´une passerelle piétonnière). Malheureusement et contrairement au pont routier que les Allemands n´auront pas le temps de faire sauter, le pont de chemin de fer vient d´être détruit par les pionniers et un bon nombre de soldats sont contraints de franchir l´Aisne à la nage ou en équilibre sur une digue située entre les deux ponts. 

Deux officiers blessés de la 3/85, Leutnant Alwardt et Axer, ainsi que quelques autres blessés ou retardataires des 3 et 9/85 tomberont aux mains des Francais  lors de cette journée du 12 septembre 1914, voire même quelques jours plus tard, comme ce fut apparemment le cas de Hermann K. DETLEFSEN (date de capture mentionnée comme étant le 18.9 à Vic/Aisne). Il est possible qu´il se dissimula dans une cave ou dans une maison en ruine, espérant une contre offensive susceptible de le libérer. Je possède également un casque nominatif du RJR103 saxon dont le porteur ne fut capturé que le 12 septembre dans le village détruit de Vassimont, soit 5 jours après la retraite précipitée des Saxons du RJR103 du village de Sommesous. Cette captivité "retardée" expliquant éventuellement la mention très tardive des VL.

Le JMO du 35ème RI de Belfort mais aussi les nombreux témoignages des hommes de ce régiment, recueillis dans le carnet de route de Alix Droz, permettent de se faire une idée assez claire de cette terrible journée pour les Allemands. 
La vue du champs de bataille dans la soirée du 12 septembre permet de constater que la débâcle allemande est complète. La route de Compiègne à Soissons longeant l´Aisne est encombrée de convois arrêtés, de chevaux morts, de conducteurs encore figés sur leur chariot, transpercés de balles. Une cuisine roulante dont la cheminée fume encore, avec des marmites encore remplies de soupe avec des gros morceaux de boeuf et de poulet, faisant le régal des soldats Francais. Dans les fossés des blessés allemands gisent encore, que personne ne secourt. Des chariots du "kleine Bagage" traînent ici et là, abandonnés, avec des sacs d´officiers allemands contenant encore des brochures touristiques du château de Pierrefonds et des insignes de régiments anglais pris en trophée. Mais aussi des sacs de Feldpost avec de très nombreuses cartes postales patriotiques. 

Dans le quartier de la Vache Noire, là ou fût sévèrement engagée la 9/85 de DETLEFSEN, la situation est dantesque. Partout de nombreux corps d´Allemands tués. Des sections entières fauchées par les mitrailleuses francaises. Au bas de la pente, près du passage à niveau, des cadavres entassés et des chevaux tués. On parle de nombreux "Boches" égarés qui n´ont pas pu traverser l´Aisne à temps. Dans le quartier de la Vache Noire, les soldats francais marchent littéralement dans le sang.

Pour terminer ce reportage en beauté, voici ci-dessous quelques photos avant et après des lieux de combat de ce 12.9.14. Je tiens à remercier chaleureusement Romain (Charpentier) qui a eu l´énorme gentillesse de me faire des photos actuelles pour étoffer cette enquête.

Le pont routier de Vic sur Aisne que les Allemands n´ont pas eu le temps de faire sauter:




Le pont aujourd´hui:



Au premier plan, vue de l´ouest, la digue qui servit de passage aux tout derniers retardataires des 3 et 9/85. Photo prise de l´ancien pont ferroviaire, aujourd´hui passerelle piétonne. À droite, l´île de l´écluse qui est reliée de part et d´autre aux deux rives par l´ancien pont ferroviaire:



 
Photo prise sous le pont routier et montrant l´ancien pont de chemin de fer dont la première double arche reliant l´île de l´écluse et la rive nord de l´Aisne fut détruit par les pionniers allemands:



La construction de cette double arche en 1909:





L´arche détruite par les allemands le 12.9.14. Au fond, le pont routier encore intact. À droite, l´île de l´ècluse:




Le pont aujourd´hui, devenu une passerelle piétonnière:





Segment du pont ferroviaire reliant l´île de l´écluse (dans le dos) à la rive nord de Vic sur Aisne. Derrière les arbres a droite, l´église de Vic:


Vue vers le sud, avec au fond les hauteurs surplombant le quartier de la Vache Noire qui étaient occupées par le 35ème RI de Belfort. Les voitures à gauche sont garées sur l´île de l´écluse:



Le quartier de la Vache Noire, où fut engagé la 9/85 de DETLEFSEN, deux photo prises vers le pont routier au fond:





Une vue vers le sud montrant les hauteurs surplombant le quartier de la Vache Noire, desquelles le 35ème RI fit feu sur les Allemands traversant l´Aisne et que la 9/85 escalada pour couvrir le reste du régiment:




Dans l´annuaire de fin 1919, on retrouve Hermann DETLEFSEN, une fois qu´il est revenu de plus de 5 ans de captivité en France. Il regagne son adresse d´avant guerre et reprend son métier de compagnon-charpentier à la Grabastr. 36:



Dans l´annuaire de 1930, il est maintenant mentionné maître-charpentier à son compte (Tischler) et est encore domicilie à la même adresse:



En 1934, il devient propriétaire du terrain (E = Eigentümer = propriétaire):



En 1936-37, il déménage à la Grabastr. 128 dont il devient également le propriétaire, vraisemblablement un aggrandissement de son entreprise. On le retrouve la toute dernière fois dans l´annuaire de 1938 à cette même adresse.
Sa trace se perd définitivement au début de la seconde guerre et on ne le retouve plus non plus après 1945. Le quartier portuaire dans lequel il était domicilié fut totalement détruit par les bombardements alliés, du fait de sa proximité des chantiers de construction de la marine de guerre allemande...



En espérant que ce reportage ait trouvé votre satisfaction!

Bonjour, très intéressant !!!!
Je possède un casque nominatif dont le porteur a été également fait prisonnier... J'aimerai bien approfondir la question...

Bonsoir Rheinbaben,
Merci pour ce récit très détaillé, on est dans l'action avec les protagonistes.

Cordialement Charpentier.

Merci Philippe de cette belle suite magnifiquement documentée.
Les combats de 1914 ont été très violents, avec cet aspect glaçant du champ de bataille, et ici avec principalement des victimes des feux d'infanterie et non de l'artillerie. Tirs meurtriers sur des formations d'attaque très denses, la tactique évoluera pour tenter d'économiser les hommes.
En témoigne un de mes anciens à l'IR 136 qui trouvait, lors de sa capture en octobre 1918 près de Romagne en Meuse, que les soldats américains étaient trop densément groupés "un seul obus aurait pu en tuer ou en blesser beaucoup"...
Après cet enfer, cerise sur le gâteau, 5 longues années d'internement...
Merci encore du partage.

Cordialement.
P. Lamy

bonjour quellbeau casque et avec son CC, superbe, il et a ca place dans votre collection , et il etait chez moi aussi, peut etre il a vu les deux soldat allemande du FR86 pendant la bataille le 18 aug 1914 a Tirlemont,

Salut Paul,

Oui, les bataillons du JR85 se sont lancés à l´attaque du nord-est de Tirlemont en direction des hauteurs au nord de la ville, dans l´après-midi du 18 août 1914, le III/85 de Detlefsen au centre de l´attaque, avec à sa gauche le IIB et à sa droite le IB.



À gauche du JR85 se trouvait le JR 31 et à droite, la 35ème Infanterie Brigade (FR 86 de Flensburg et Sonderburg et JR84 de Schleswig et Hadersleben ).
Les hommes du JR85 recurent les premiers obus à shrapnels au niveau de la Ferme de Beens. 
Vers 15 heures 20, le III/85 s´empara du village Haekendover et continua sa progression sur la route de Tirlemont, suivi par le II/85 quelques centaines de mètres en arrière.
Les Belges,  retranchés dans une première ligne de défense derrière le remblai d´une ligne de chemin de fer ouvrirent le feu sur la 10/85 marchant en tête suivi de près par l´état major du III/85. Le chef du III/85, Major Graf von Kielmannsegg fut légérement blessé et continua malgré tout à commander la poursuite de l´attaque.
Vers 16 heures 50, après une progression longeant les deux côtés de la route allant à Tirlemont, les II et III/85 parvenaient à rejeter l´ennemi de sa première position retranchée derrière le remblais de chemin de fer et dans les ateliers de réparation ferroviaires, ainsi que d´une seconde ligne de tranchées creusées à l´ouest de la Gette. 



Le II/85 traversa Tirlemont et se trouva en soirée à la sortie le la ville sur la route menant à Löwen. 
Sur le flanc droit, le IB avait également prolongé l´attaque, la 1/85 perdant son chef, l´Hauptmann Arndt, par balle en pleine tête. Un officier belge fut capturé avec sur lui des documents cartographiques importants. 
Après quelques derniers combats sur la route de Löwen, au niveau d´une barricade prise d´assaut par la 5/85 soutenue par les feux de la MGK, et la prise d´une dernière tranchée belge par le III/85 appuyé par la 8/85, le calme revint lorsque l´obscurité tomba. 
Le roi Albert ordonna alors à ses troupes de battre rapidement en retraite pendant la nuit, se rendant compte que les alliés seront incapables de pouvoir tenir leurs promesses de soutien.

Salut Philippe ,

J ' avais raté cette pièce et son historique rondement mené comme toujours .

Très intéressant d ' avoir l ' histoire de l ' acquisition de ce casque aussi , le genre de digression dont je suis expert dans l ' art de parler de tout ce qui entour un truc avant d ' aborder le principal . ( C ' est un compliment car trop rarement observé à mon goût alors que quand c ' est bien raconté c ' est toujours agréable à lire . )

Une chance que tu parles l ' allemand car je vois mal démêler une telle affaire au téléphone avec un vendeur de ce genre là .

Je sais pas ce qui était arrivé à ce casque pour se voir si déformé avec le jonc arrière disparu ..... Mais tu l ' a superbement restauré sans qua ça se voit ni ne lui donne un aspect " neuf " .

Très gros travail de recherches pour remonter jusqu ' à l ' origine du porteur ! Avec plusieurs coups de main . ( Pour une fois que c ' est toi qui est aidé . )

Toujours un plaisir de lire et voir tout cela , bien plus détaillé que tes articles dans Militaria Magazine où la place manque .

J ' attend impatiemment le prochain que tu y fera néanmoins pour l ' acheter .

Amicalement , Quentin .

Dragunov42 a écrit:

J ' attend impatiemment le prochain que tu y fera néanmoins pour l ' acheter .

Salut,

L´attente ne sera pas trop longue 
Le prochain article paraîtra dans le prochain numéro de mars (un casque du LGR8 à la Main de Massiges). 

Rheinbaben a écrit:

Dragunov42 a écrit:

J ' attend impatiemment le prochain que tu y fera néanmoins pour l ' acheter .

Salut,

L´attente ne sera pas trop longue 
Le prochain article paraîtra dans le prochain numéro de mars (un casque du LGR8 à la Main de Massiges). 

Et du top du top comme d'habitude !

Rheinbaben a écrit:

Dragunov42 a écrit:

J ' attend impatiemment le prochain que tu y fera néanmoins pour l ' acheter .

Salut,

L´attente ne sera pas trop longue 
Le prochain article paraîtra dans le prochain numéro de mars (un casque du LGR8 à la Main de Massiges). 

Salut Philippe ,

ça tombe bien c ' est mon anniversaire le 24 .

Je regardais justement hier de quoi parlait celui de février au cas où . ( J ' y pense pas toujours tous les mois . )

Merci pour l ' info .

Amicalement , Quentin .