Voici un casque du III/RJR 82 provenant de la petite-fille du soldat qui l’a conservé.
Il est resté dans son état de découverte, avec la jugulaire en position de combat. L’absence du couvre-casque, et peut-être les conditions de conservation, permettent d’apprécier la différence de patine avec le casque précédent d'expliquer l'aspect très pâtiné. Le casque est en tout point conforme aux casques équipant le JR 95, avec d’ailleurs la régimentation de ce dernier.
La plaque est restée celle d’active, conforme à celle de Saxe Cobourg Gotha puisque c'est le JR 95 qui a levé le III/RJR 82. Elle n’a jamais reçu de croix de réserve.
Le porteur a marqué son nom dans la nuquière, Feuerstein.
Il s’agit de Paul Feuerstein, de la 9/RJR 82. Il est mentionné à deux reprises dans les Verlustlisten. La VL n°68 du 2 octobre 1914 l’indique comme blessé entre le 5 et 8 septembre 1914. Puis une mention rectificative est faite dans la VL n°803 du 24 novembre 1915 indiquant que Paul Feuerstein est en réalité blessé et en captivité.
Grâce à M. Renard qui m’a aimablement transmis la fiche du bureau de renseignement français, les détails précis des combats concernés sont connus. Paul Feuerstein a été blessé à la main droite le 5 septembre 1914 et a été fait prisonnier le 6 septembre 1914 à Neufmontier, à côté de Meaux. Ce casque est un précieux témoignage de la bataille de l’Ourcq et du tout début de la contre-offensive de l’Armée de Paris, qui fut déterminante dans la bataille de la Marne.
Revenons en arrière. Paul Feuerstein est né le 12 décembre 1889 à Klein Lohma en Thuringe entre Erfurt et Iena. Il s’agit d’une très petite commune rurale et Paul Feuerstein devait vraisemblablement être issue de la paysannerie. Lorsque la guerre éclate, il a 24 ans et est un tout jeune réserviste encore bien au fait des techniques de combats. Dans le cadre de la levée du RJR 82 début août 1914, il parcourt une soixantaine de km pour aller rejoindre le III/RJR 82, à Gotha à partir des magasins du JR 95. C’est pourquoi Feuerstein se voit pourvu d’un casque à pointe avec les spécificités de la Saxe Cobourg Gotha. Contrairement à d’autres régiments de réserve, l’historique indique que l’équipement des hommes se passe très bien, le matériel est largement disponible, on l’a vu, grâce notamment à la capacité des magasins à conserver dans de bonnes conditions des matériels relativement anciens Mais ici, notre porteur récupère un casque relativement neuf, daté de 1905.
Les premiers jours d’août sont consacrés à des exercices de marche et de tir, jusqu’au départ le mardi 11 août à la gare. Après un voyage en train, les hommes descendent à Düsseldorf et marchent jusqu’à Aachen.
Le RJR 82 va faire partie de la 44 Reserve Infanterie Brigade avec le RIR 32. Cette brigade relève de la 22 Reserve Division, IV Reserve Korps (IV RK). Avec les II, III, IV, X Korps, le III RK et le II Kavallerie Korps, il forme la I Armee. Cette dernière doit constituer le flanc droit de la marche allemande en Belgique et en France.
Le 17 août à 5H du matin, le RJR 82 entame la marche vers la frontière. Il passe par Bruxelles le 23 août, puis Mons deux jours plus tard. Le 27 août, le RIR 82 engage son premier combat à Honnecourt Epéhy. Une avancée continue s’en suit : 28 août Bapaume, 29 août Albert, 30 août Amiens. A Clermont, lors d’une courte halte, les hommes entendent le bruit d’une grande explosion. Les Français viennent de faire sauter le pont sur l’Oise à Creil. Cette dernière ville est atteinte le 2 septembre au soir après 16H de marche. Dès le matin du 3 septembre, les pionniers ont déjà construit un pont de bateaux pour chevaux et voiture. Par la route la plus directe, Paris est à 2 jours de marche mais à la surprise générale, le RIR 82 et tout le IV RK obliquent vers Senlis et le sud-est puis vers l’Est jusqu’à Crépy où l’on bivouaque.
Le 4, la marche continue jusqu’à Boissy Fresnoy où l’on bivouaque. Le village est vide, mais les hommes y trouvent une profusion de nourriture. Le reste de l’après-midi est consacrée à une longue pause qui permet enfin de se laver et se reposer. L’atmosphère est presque euphorique. Les hommes s’imaginent entrer dans Paris dans quelques jours. Certains essayent même leurs meilleurs uniformes pour cet évènement. Pour ces hommes du RJR 82, la guerre semble gagnée. L’atmosphère devient presque désinvolte, des veillées ont lieu jusqu’à minuit. Les rapports français indiquent également de nombreux pillages.
Cette pause s’explique par le fait que le corps d’armée auquel appartient le RJR 82, le IV R, a été désigné pour sécuriser le flanc de la I. Armee qui fonce vers le sud dans la perspective de la victoire décisive contre des Français en retraite depuis des jours et considérés, à tort, comme épuisés et au bord de l’effondrement. Les Allemands ont bien identifié la présence d’unités françaises près de Paris mais n’ont pas de renseignements précis et ne les considèrent pas comme un danger potentiel. Une simple flanc-garde assurée par un corps d’armée sera largement suffisante.
Le 5 septembre à 4H, près une très courte nuit, les hommes sont prêts à marcher. Ils apprennent que la mission du jour est de poursuivre l’avancée et de se tenir prêt face à une division de cavalerie français qui pourrait entraver le franchissement prévu de la Marne à Meaux. A 10H, un ordre parvient au IV Res Korps : arrêt de sa marche vers le sud et se préparer à une attaque ennemie. Une division de cavalerie ennemie serait en marche depuis l’ouest. Mais pour von Gronau, le commandant du RJR 82, il est difficile de percevoir la nature de ce mouvement : s’agit-il de sécuriser Paris ou une attaque de flanc de la I Armee ? A midi, une pause est décrétée sur les hauteurs de Barcy Monthyon. Alors que les hommes mangent, un ordre brutal tombe. « Se préparer au combat ». La marche reprend vers Penchard. On perçoit le bruit de tirs au nord de Penchard, au Nord l’avant-garde de la division est déjà au combat.
Les unités arrivent à Penchard et font face vers le sud-ouest à une forêt qui empêche de voir l’ennemi et ses déploiements. Des petits nuages de fumée au nord indiquent que l’artillerie française prend pour cible la réserve d’artillerie de la brigade. En ce 5 septembre, la 6ème Armée française avance depuis Paris vers l’Est. Sur son aile droite, le Général Ditte et sa brigade de chasseurs indigènes marocain dite brigade marocaine doit poursuivre son avancée vers l’Est et le cas échéant attaquer Neufmoutiers et Chauconin. Dans ce cadre, ses patrouilles ont identifié vers 12H les unités du IV RK à hauteur de Penchard et un duel d’artillerie s’en est suivi alors que la brigade marocaine lance son attaque.
Une course de vitesse s’engage, le RIR 82 doit la bloquer en occupant la hauteur en partie boisée au sud de Penchard, la hauteur 164 qui domine tout le secteur d’attaque. A l’entrée nord-est de Penchard, les bataillons sont positionnés les uns à côté des autres. Le III/RJR 82 de Feuerstein marche en tête et se déploie vers la droite au nord du bois en liaison avec les troupes de la 7 RD. A sa gauche se déploie le I/RJR 82 dans le bois. Le II/RJR 82 est derrière et reste en réserve avec la MGK. Du côté adverse, c’est toute la brigade marocaine qui avance aussi vers Penchard-Neufmontier, avec du nord au sud, les 3ème, 4ème, 1er, 2ème et 5ème bataillons.
Les hommes du I/RJR 82 entrent dans ce bois sans chemins ni sentiers et où la visibilité ne dépasse pas 10 m. Un déploiement ordonné et en liaison avec les autres compagnies n’est plus possible et très vite le bataillon perd de sa cohérence. Le commandant de la 1/RJR 82, un Vzflbw et des hommes partis en reconnaissance en avant du bois sont abattus. Mais les hommes atteignent la lisière ouest les premiers et leurs tirs nourris bloquent l’ennemi, - JMO du 1er Régiment de la brigade marocaine « En descendant les pentes du Ru de Rusel, le régiment est accueilli par un feu violent d’artillerie qui semble partir de la hauteur de Monthyon. Puis il est en butte au feu de l’infanterie ennemie retranchée solidement dans le bois 194 », mais les Français commencent à contourner le bois par le sud en direction de Penchard. Le 1er bataillon a atteint la lisière de la pointe ouest. Le 2ème fonce vers Neufmontiers et le 5ème Bataillon du Capitaine d’Ivry est à 100 m de Penchard. Le II/RJR 82, appuyé par les mitrailleuses et le RIR 32, ouvre le feu, décimant les assaillants. Ceux-ci retraitent d’abord sur Neufmontiers qu’ils sont ensuite obligés d’abandonner à partir de 17H. Les unités du 5ème bataillon entrées dans le bois sont aussi refoulées.
Au III/RJR 82 de Feuerstein, le major Krag fait déployer immédiatement trois compagnies vers l’ouest pour accompagner l’avancée du I/RJR 82 au sud. La 10/RJR 82 avance en lisière de forêt. Lorsque le Hauptmann Lübben atteint le coin ouest du bois, il aperçoit vers le sud-ouest de fortes lignes de tirailleurs. Ces sont les chasseurs du 3ème et 4ème bataillon qui avancent vers le bois. Des éléments du III/RJR 82 sont envoyés contre ces assaillants dans le but de leur couper la retraite. Les autres compagnies ouvrent un feu d’enfer. Les deux bataillons sont arrêtés par le feu de l’infanterie ennemie sur la croupe entre le Ru de Rusel et le Ru de Viry. Voyant le risque d’encerclement, l’ennemi bat en retraite.
Le JMO du 2ème régiment résume cette retraite : « A 15H30, bataillon d’Ivry a progressé à l’Est de Neufmoutier, s’est étendu vers Penchard et s’élance vers la lisière du bois et prête à attaquer 5 batteries allemandes. Vive contre-attaque de l’ennemi qui prend de front et de flanc le bataillon d’Ivry, lourdes pertes. Repli sur Neufmoutiers où la résistance bloque les assaillants. Vers 16H, la gauche de la brigade 1er régiment qui avait marché sur lisière ouest se replie (4ème Bataillon puis 3ème Bataillon face au III/RJR 82). 2ème régiment seul en, flèche et sans réserve, personne à droite. 16H20 ordre de repli de Neufmoutier via le ru de Rutel et sa protection »
L’ennemi recule, les trois bataillons du RIR 82 se lancent à la poursuite de l’ennemi à travers des champs de betteraves où l’ennemi se retranche. Les combats sont très durs avec des ennemis habitués au combat en tirailleurs, profitant de chaque protection qu’offre ce paysage de vastes champs entrecoupés de rus favorables à la défense pour se retrancher et se dissimuler. En outre, des Français qui avaient été envoyés en patrouille à la lisière du bois s’étaient ensuite dissimulés pour tirer dans le dos des assaillants jusqu’à ce que l’on les découvre, renforçant la confusion des combats.
L’historique du RJR 82 évoque à la fois des blessés qui, lorsqu’on s’approche d’eux, crient clémence, mais une fois dépassés tirent dans le dos et la bravoure de leurs adversaires, qui opposent une forte résistance. Ainsi « Dans sa retraite, l’ennemi a laissé des points d’appuis commandés par des officiers excellents qui opposent une résistance acharnée et tuent nombre des poursuivants. Un officier blessé sous son cheval tué tire jusqu’à ce qu’un soldat lui défonce la tête à coup de crosse ». Neufmontier est pris.
La retraite de la brigade marocaine se fait également sous la protection de l’artillerie, particulièrement dans le secteur du III/RJR 82 de Feuerstein, où des tirs de shrapnell bien ajustés causent des pertes. Un des pelotons du III/RJR 82 trouve dans une cuvette des chevaux d’une partie de l’état major de la brigade marocaine Ditte avec des documents importants dans les sacs de selle.
Soudain, le signal de manœuvre « Halt » retentit. C’est l’incompréhension la plus totale pour les hommes du RIR 82, grisés par cette poursuite. Il va permettre de regrouper les unités qui se sont largement mélangées dans la confusion de ces combats. L’ennemi se retire vers la route Meaux Paris. Il est environ 18H30. Les I et II/RJR 82 doivent se regrouper à Neufmontiers. Le III/RJR 82 reste sur le champ de bataille et se prépare à y bivouaquer. On en profite pour amener vers l’arrière les blessés transportables, ce qui est le cas de Feuerstein, blessé à la main. Les pertes sont en effet lourdes, au III/RJR 82, les commandants des compagnies 9 à 11/RJR 82 sont tous hors de combat. L’adjudant du bataillon, l’Oblt dR Kämmerer, maire de Sonderhausen, a été tué d’une balle dans la tête, Ce 5 septembre est le jour où le régiment a ses plus grandes pertes en hommes et officiers de toute la guerre. De son côté, la brigade marocaine a subi de lourdes pertes, 19 officiers et 1150 hommes.
Les troupes sont épuisées nerveusement. Les hommes se regroupent autour des rares cadres indemnes. Survient alors l’ordre de retraite, que les hommes ne comprennent pas. Ils ne savent pas que, face aux premières attaques de flanc de la 6ème armée de Manoury, von Kluck a demandé au II. Korps de marcher vers le Nord pour venir au secours du IV RK. Le RJR 82 doit, le lendemain 6 septembre, tenir les hauteurs au nord de Varreddes, situées à 10 km du lieu des combats, pour sécuriser le franchissement de la Marne du II Korps
Cette retraite se fait de manière assez chaotique, dans un paysage inconnu, sans carte, et de nuit. Les hommes n’ont pas eu de ravitaillement depuis la veille et certains s’endorment dans les fossés et doivent être réveillés de force pour continuer. De plus, il est particulièrement accablant de devoir abandonner les blessés sur le champ de bataille et dans les ambulances établies dans l’église de Neufmontiers et le château d’Automne, où ont été regroupés 300 officiers et hommes dont Feuerstein.
L’Unterartz d R Dr Kunze reste dans l’église avec les blessés du 5 au 9 septembre et a produit un témoignage après-guerre permettant de connaître les conditions dans lesquelles Feuerstein s’est trouvé. Les Français ont envoyé dans la nuit des patrouilles pour s’assurer que les Allemands ont abandonnés leurs positions. Ils avancent très prudemment, permettant aux derniers isolés et blessés légers de quitter l’église. Puis on entend des tirs. Les hommes de la brigade marocaine arrivent, le docteur est assailli de questions.
Des officiers français sont aussi là, peu aimables. Kunze indique s’être vu confisquer ses bandages et qu’aucun soin n’est apporté aux blessés. Pour autant, les Français constatent également que les services sanitaires allemands ont traité correctement les prisonniers blessés comme l’atteste le JMO du 1er régiment : « 6 septembre : à partir de 5H, le régiment suit l’itinéraire Neufmontiers- Penchard. L’ennemi a évacué ses position la veille. Il a laissé de ses blessés dans l’église de Neufmontiers, des ambulanciers allemands ont même pansé nos blessés. ». Kunze rapporte que « les blessés par balle au ventre réclament de l’eau alors que les règles médicales indiquent que c’est proscrit, mais on leur en donne quand même et ils meurent. Pendant trois jours il n’y a rien à manger. Une puanteur insupportable règne dans l’église. Sans arrêt, on entend les cris des blessés à la tête qui appellent leurs proches dans leur délire ». Kunze constate que, dès que les Français arrivent, plus aucun nouveau blessé n’arrive alors que, selon lui, il en reste certainement dans les bois de Penchard ou dans les champs. Pour lui, il y a peu de doute que ces derniers aient été liquidés par les Français. On peut néanmoins considérer que la présence du III/RJR 82 sur le champ de bataille jusque dans la nuit du 5 au 6 septembre a permis l’évacuation de la majeure partie des blessés vers l’église et le château et il est donc normal qu’il n’y ait plus d’afflux après cette date ou qu’ils aient été transportés ailleurs. Néanmoins, parmi les blessés de l’église, des histoires terribles et crédibles d’assassinats de blessés circulent alors qu’aucun de ces hommes ne les a vu de ses propres yeux.
Au château Automne, les blessés graves tombés aux mains françaises ont une expérience encore pire. Toujours selon le témoignage de Kunze, des Marocains se défoulent sur les blessés par vengeance. Ils leur tirent dessus. Plusieurs hommes perdent ainsi la vie. L’historique indique précisément que « On vole tout ce qui est possible aux prisonniers : argent, montre, alliance et tout objet de valeur. Tous les Français veulent un souvenir, même un bouton d’uniforme ». Dans ces conditions, on comprend que c’est le moment où tous les blessés, dont Feuerstein, perdent leurs casques à pointe, qui constituent le trophée par excellence. Cette première victoire donne lieu à une série de photos de ces prisonniers allemands de Neufmoutiers qui deviendront des cartes postales.
Le 9 septembre, les Français commencent les préparatifs pour le transport des blessés. Feuerstein part ainsi le 11 septembre pour Belle-Ile pour une longue captivité de 5 ans et demi, puisqu’il ne sera rapatrié qu’en février 1920 en Allemagne