Voici un casque rappelant les combats de Lorraine d’août 1914 et plus précisément la contre-attaque allemande dans la région de Sarrburg in L./Sarrebourg le 20 août 1914.
Ce casque a fait partie d’un ensemble de trophées ramenés par un Français resté anonyme. Cet ensemble casque couvre-casque du GR 110 a en effet été trouvé dans une maison avec deux autres casques du GR 110 dont l’un également avec son couvre-casque. Les deux CC portaient encore leurs chiffres rouges, signe de casques perdus par leurs porteurs dans les premières semaines de la guerre.
Il est intéressant de noter qu’ici une idée reçue est battue en brèche. Bien que, comme on le verra, ces deux pièces sont indubitablement nées ensemble, le casque lui-même n’est pas dans l’état mint qu’on pourrait attendre d’un casque resté sagement sous son CC depuis un siècle. En effet, ces trois casques dont deux avec un CC ont vu les CC être changés de casque. Le CC était sur un autre casque du GR 110 (régimenté d’un autre bataillon) lors de sa découverte et le « bon casque » semble avoir servi de trophée exposé et nettoyé régulièrement. Le CC a été manipulé et deux crochets ont disparu ainsi que leurs tissus de renfort.
Casque et couvre casque portent les mêmes marquages :
- Du GR 110 : ici R110 pour les deux pièces (marquage très atténué pour le CC)
- date de réception 1913 (peu visible sous le R110 du casque – date du fabricant similaire dans la bombe)
- Bataillon 2B
- Et 7 K (7 peu visible sur la nuquière).
Le CC va parfaitement sur la bombe et confirme que les deux pièces sont nées ensemble, même si le précédent propriétaire de ces casques avait mélangé CC et casque.
Le casque est nominatif : Benz suivi d’une initial de prénom, ici F. La présence de l’initial est cohérente car les VL nous révèlent qu’il y avait plusieurs Benz dans la 7 K à la mobilisation. Benz est un nom très courant, pour le GR110, pas moins d’une quinzaine sont présents.
Ce Benz apparaît 3 fois dans les VL :
- Une première fois dans la VL 226 du 18 septembre 1914 :
http://des.genealogy.net/search/show/31887 . Il y est mentionné sans son prénom ni lieu de naissance et indiqué comme blessé.
- Heureusement que les KS badoises existent encore, car on y trouve notamment son lieu de naissance, Ebersteinburg, et ainsi de trouver deux autres mentions dans les VL
- Une seconde mention très tardive, du 23 novembre 1917
http://des.genealogy.net/search/show/6137594 nous apprend qu’il est en réalité prisonnier depuis le 20 août 1914.
- Une troisième du 18 novembre 1918,
http://des.genealogy.net/search/show/9154983 indique qu’il a été libéré de captivité.
Les KS badoises confirment ces éléments. Franz Benz est né le 27 mai 1893 et a donc logiquement commencé son service militaire, à l’âge de ses 20 ans, en octobre 1913.
Cette date colle parfaitement avec la date de réception de son casque et CC : 1913 !
On retrouve cette date peu lisible sous le marquage R110 dans la nuquière.
Franz Benz a donc touché un casque et un CC neuf … enfin quasi. Car le CC porte un autre tampon, celui du II/LIR 25. La proximité des deux unités (Heidelberg pour le II/GR 110 et Koblenz pour le LIR 25 – 170 km) explique en partie le transfert de CC manifestement réceptionnés par la formation du temps de paix du LIR 25 mais non utilisés dans le cadre des périodes de rappel du LIR 25 pour une raison inconnue et transférés au II/GR 110 pour « dépanner » ce dernier. Encore une fois, ce type de pièce authentique permet de balayer les idées préconçues. Des transferts de matériel (avec la particularité spécifique d’être du matériel neuf) de la Landwehr vers l’active ont donc existé avant-guerre.
La mobilisation surprend Benz donc en plein service militaire et il part donc au combat au sein de la 7K. Mais Franz Benz ne va combattre qu’une vingtaine de jours, jusqu’au 20 août 1914, lors de la contre-attaque allemande en Lorraine.
Le GR 110 fait partie du XIV Korps/ VII Armee. Cette VII Armee doit avec la VI Armee rejeter les troupes françaises qui sont entrées en Lorraine allemande le 14 août. Pour les Allemands, il s’agit en réalité de mettre en œuvre un plan défini avant-guerre qui consiste à laisser entrer les troupes françaises en Lorraine en les canalisant entre les fleuves Nied et Sarre. Une fois les Français suffisamment avancés, des contre-attaques sur leur flanc permettront d’annihiler ces forces ennemies dans ce qui serait un véritable piège.
Dans ce cadre, les Français progressent jusqu’à Mohrange et Sarrebourg, ne subissant que des résistances sporadiques et actions de harcèlement d’unités allemands qui reculent volontairement.
Ainsi le 18 août, les troupes françaises pénètrent dans Sarrebourg. Mais les Allemands préparent la contre-attaque. Pour cela, la VII Armee est transférée depuis le sud de l’Alsace vers la région de Phalsbourg Molsheim. La VIe armée doit continuer à organiser ses positions et la VIIe commencer son mouvement vers l’ouest pour passer sur le revers occidental des Vosges, en vue de préparer une manœuvre d’enveloppement de l’aile droite française. Dans ce cadre, le XIV Korps, qui vient de combattre dans le secteur de Mulhouse et était en cours de reconstituions vers Freiburg, se concentre dans le secteur Phalsbourg Saverne.
L’historique du GR 110 nous apprend que les bataillons du GR 110 sont transportés par train jusqu’à Arzviller (dans l’actuel Moselle, tout près de la frontière avec le Bas-Rhin, sur le canal de Marne au Rhin) où ils arrivent entre le 16 août au soir et le 17 août matin. Les hommes sont surpris car ils pensaient partir sur le front de Belgique/Nord de la France.
Le 18 août, le II/GR 110 reste en réserve alors que les autres bataillons établissent des positions défensives vers Arzviller-Saint-Louis. Bien que l’ennemi soit signalé en marche à 7 km, rien ne se passe le 19 août.
Les deux parties décident chacun de lancer une offensive le 20 août, les Français pour poursuivre leur avance et les Allemands pour rejeter et surtout détruire les armées françaises : la VI. Armée attaquera de front les Ie et IIe armées françaises, tandis que la VII Armee attaquera la Ie armée sur son flanc droit et sur ses arrières pour lui couper la retraite. Von Heeringen (VIIe armée) ordonne une attaque pour 11h. Le XIV Korps doit attaquer avec pour objectif de marcher sur Lorquin. Il va se heurter aux troupes françaises dans le secteur des villages de Schneckenbusch-Brouderdorff (Bruderdorf en Allemand).
Le plateau de Schneckenbush-Brouderdorff est tenu par le 16ème RI (Schneckenbusch 25 DI) et le 139ème RI (Brouderdorff.26 DI) du 13ème CA qui y creusent des tranchées le 19 et 20 matin. Par ordre de la 25ème Division daté de 8h.35, la 50e Brigade doit tenir région Hesse, Houchenkoff, Schneckenbusch, pour soutenir la droite du 8e Corps qui attaque dans la direction de Reding partant de Sarrebourg et Bülh. Le GR 110 va donc s’opposer à des Français en position et mission défensive….
L’historique du GR 110 nous décrit les combats du 20 août.
Le 20 août, à 5H, le canon ennemi est entendu. Vers 7H, l’ordre d’avancer et attaquer est reçu. A 7H15, les hommes du GR 110 avancent derrière ceux du LGR 109 jusqu’à Niderviller, atteint vers 10H, qui est, selon l’historique, pillé par les Français. Le GR 110 doit rester en soutien des autres unités qui attaquent et se place sous les couverts du bois de Niderviller pour tenter d’éviter les bombardements français, qui font, malgré tout, des victimes dans les rangs.
A 12H30, l’ordre est donné de marcher sur Brouderdorff. Le III/GR 110 attaque en tête, suivi du I/GR 110. Le II/GR110 reste à la sortie du village.
Dès que le III/GR110 franchit la lisière de la forêt , il est pris sous un violent feu depuis la hauteur 306 située devant Brouderdorff et qui domine la lisière. Le I/GR110 se place à la gauche du III/GR110 et les deux bataillons montent à l’attaque. Pendant ce temps, l’état-major du régiment demande au II/GR110 de se placer à la sortie sud de Niderviller avec les MG pour être prêt à mener une attaque contre l’ennemi retranché dans sur la hauteur 306 et tirant sur les I et III/GR110. Le II et la MGK prennent sous leur tir la hauteur 306 ce qui contribue avec les attaques des I et III/GR110 à forcer les Français du 139ème RI à évacuer la hauteur pour se retrancher dans le village de Brouderdorff. Après de furieux combats, le village lui-même tombe à 15H30, sous l’action convergente des 3 bataillons du GR 110, (puisque c’est à moment-là que le II/GR110 marche sur Brouderdorff) et du LGR 109 au sud-est. Le II/GR110 ne subit pas le même déluge de feu que les autres bataillons car lorsqu’il reçoit l’ordre d’avancer vers Brouderdorff à peu près au moment où les Français évacuent Brouderdorff. Ainsi, le II/GR110 n’a que peu de pertes durant l’attaque elle-même, mais en a eu avant par les bombardements et tirs français.
Le II/GR110 étant à l’aile droite des attaquants, il quitte le village vers Schneckenbusch pour poursuivre les Français mais il essuie des pertes, notamment à la 6 K qui perd son chef et son adjoint. Même si aucune mention n’est faite dans l’historique, Benz a pu être blessé à ce moment-là, en tout cas dans un endroit qui va devenir un no man’s land éphémère quelques heures plus tard.
Les Allemands tentent de déboucher vers Schneckenbusch par le Nord (JR 113) et par le SE (GR 110). Alors que l’historique du 16ème RI (qui tient ce village) indique une résistance victorieuse toute l’après-midi, celui du 98 RI indique une autre réalité : le 16ème RI tient Schneckenbush mais malgré les renforts d’un bataillon du II/98ème RI, les Français sont obligés d’abandonner ce village avec de lourdes pertes, puis tentent en vain de former une ligne de résistance au niveau du canal et doivent finalement se replier vers le S-W vers le bois de Jungforst.
Mais vers 17H, les Français mènent une contre-attaque générale (98ème RI, 62 bataillon de chasseurs) vers Buhl. Le II/98ème RI avance vers Schneckenbush. Le II/98 mène un violent combat dans Schneckenbush et le reprend donc mais ne peut traverser le village pour franchir le canal. Le II/86 est engagé au nord de Schneckenbush. Le I/98 attaque de nuit les tranchées allemandes. La nuit met fin au combat.
Benz, blessé à proximité immédiate de Brouderdorff, a certainement été ramassé par les Français lors de ce retour offensif (l’historique du 38ème RI indique que ce dernier a tenté de reprendre Bruderdorff tenu par le GR 110 : « Au village de Bruderdorff, le Régiment rencontre une résistance violente de la part d'un adversaire qui, protégé par des tranchées, l'accable de ses feux ».) ou plus tard dans la confusion de la nuit, à un moment où plus personne au sein de la 7K ne savait où il se trouvait
En effet, à l’issue de la prise de Brouderdorff, l’historique du GR 110 nous indique que les unités du GR110 sont très mélangées (notamment 109 et 110 à l’aile gauche). Sur l’aile droite où se trouve le II, la liaison est établie avec le JR 113 qui est entré dans Schneckenbusch. Les bataillons essaient de se rassembler mais le village reste sous le tir régulier de l’artillerie française. L’ordre arrive ensuite d’abandonner le village pour aller bivouaquer au nord de la côté 306, au NE de Niderviller. Le régiment retraite donc en emmenant les blessés transportables et accessibles, ce qui n’est pas le cas de Benz. Il n’a donc pas été blessé dans le village ni sur l’axe d’attaque mais logiquement entre Brouderdorff et Schneckenbusch. Peut-être, isolé et blessé, seul dans la nuit, a-t-il vu les unités françaises comme le salut et les a appelées.
Le JMO du 98ème RI, publié dans les années 20, décrit bien la confusion de la nuit et ces cris de ces blessés qui ont guidé les Français. « Malgré la fusillade très violente, nos tirailleurs gagnent du terrain, mais il se fait déjà tard et bientôt le crépuscule envahit tout. On ne distingue plus très bien ce qu'on aperçoit ; une ligne sombre et imprécise près du sol indique seulement la position des fantassins allemands sur lesquels nous dirigeons nos feux. La nuit est venue ; des lueurs d'incendie nous révèlent des mouvements de repli chez l'ennemi, et tout à coup, le silence s'établit. On n'entend plus que la voix des blessés réclamant du secours. (…). La nuit profonde et silencieuse nous enveloppe ; les blessés appellent ; des falots rouges commencent à sillonner la plaine ; des sonneries de trompettes dont nous ne connaissons pas la signification sont entendues du côté de l'ennemi ; tout devient mystère, douleur et inquiétude ! (source :
https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k6452424z/texteBrut)Dernière preuve de cette confusion, Benz est d’abord indiqué dans les VL comme blessé. Un camarade a dû le voir tomber et lui a peut-être prodigué les premiers soins. Mais Benz devait être intransportable et a été oublié lors du retrait. On notera la mention rectificative extrêmement tardive, 3 ans après, alors que le CICR a pourtant toutes les infos. Ainsi Benz est arrivé à l’hôpital 25 à Castelnaudary le 30 août 1914. Sa fiche des KS indique qu’il serait d’abord passé par un premier hôpital à Cette (orthographe de la ville de Sète jusqu’en 1928) avant son passage à Castelnaudary. Les KS précisent aussi qu’il ne revient en Allemagne que le 21 décembre 1918. Noël 1918 a dû être chaleureux chez les Benz !