Un couvre-casque de grenadier hanséatique
Voici un couvre-casque à l’histoire intéressante.
Ce couvre casque a été porté par le Grenadier Hermann Hoffmann de la 7/GR 6. La nominette colle parfaitement avec les marquages de cette unité, GR 6, 2B (le 2 est légèrement décalé avec le B, donnant l’illusion d’un 5) et 7C.
On notera que le modèle de CC, le vieux mod 92, est ici assez atypique pour une unité d’active. La présence d’un marquage de réserve barré confirme que ce vieux CC avait été stocké pour une utilisation au RJR 46. Le tampon indique le II/RJR 46 qui devait être équipé par le GR 6. Même si les unités de réserve n’existent pas organiquement avant-guerre, des équipements sont déjà pré-fléchés et parfois régimentés comme ici pour une utilisation lors des périodes de rappel des réservistes appelés à servir dans ce régiment qui devait être formé à la mobilisation.
Toutefois, en 1911, le GR 6 a manqué de couvre-casques et a récupéré ces vieux couvre-casques pour équiper en particulier la 7K (en effet, un CC en tout point similaire, notamment en terme de marquage, existe dans une collection US). La date de réception de ce CC au GR 6 a été apposée, 1911, ainsi que la régimentation complète du GR 6 et l’état du CC (moyen, 2). Le marquage du RIR 46 a alors été rayé.
Le grenadier Hoffmann a récupéré ce CC et y a apposé une nominette. Dans les VL, seuls deux Hoffmann apparaissent à la 7/GR 6. Un Paul Hoffmann dans la VL du 26 juillet 1915 mais simple blessé léger et surtout un Hermann Hoffman dans la VL du 6 avril 1915 indiqué comme blessé grave.
http://des.genealogy.net/search/show/1740529Même s’il n’y a aucune autre mention dans les VL, on retrouve cet homme dans l’Ehrentafel de l’historique du GR 6. En réalité, Hermann Hoffmann, blessé le 19 mars 1915 à Côtes Lorraines, est mort le 30 mars au Feldlazarett de Viéville, installé dans les deux écoles, le presbytère, l’église et cinq Döckerschen Baracken près de l’église. Il s’agit d’un FL du V. AK. La date de décès correspond d’ailleurs bien avec le fait que le chiffre rouge a été arraché sur ce CC, on en distingue encore les traces de couture rouge. En outre, comme on le verra, ce couvre-casque a été manifestement réutilisé et correspond bien à un homme n’ayant malheureusement plus besoin de son CC, donc un blessé grave ou un mort et non un simple blessé léger.
En effet, on distingue encore nettement des chiffres peints en plus des traces de chiffres rouges.
Leur identification n’est pas aisée car ces chiffres sont très abîmés. Soit la peinture s’est dégradé suite à un usage prolongé dans la guerre de position, dans le froid, la pluie, la saleté, soit elle a été frottée volontairement lorsque les chiffres verts ont été supprimés. Si le R et le 6 en bas à gauche sont assez facilement déchiffrables, le dernier chiffre à gauche reste plus mystérieux. La logique aurait pu y chercher un 4 puisque le GR 6 a monté le RIR 46. Toutefois, la forme ne correspond absolument pas. Aucune autre unité en RX6 n’a de lien organique avec le GR 6. La forme présente élimine les 1,2, 4, 5, 8.
Par contre, la forme correspond parfaitement avec celle du 7 d’un autre CC du RJR 76. Les autres chiffres et lettres aussi.
Ce CC du GR 6 s’est donc vu réutilisé au sein du RJR 76.
L’analyse des conditions de la mort de Hoffmann confirme cette hypothèse.
Hermann Hoffman fait donc partie des hommes qui quittent le lieu de garnison du GR6, Posen, aujourd’hui en Pologne. La présence du chiffre rouge 6 arraché milite pour un homme présent au GR 6 dès la mobilisation et non un soldat arrivé ultérieurement dans le cadre des renforts d’ersatz. Il a donc connu les combats d’aout-septembre 1914 au cours desquels il a appliqué l’ordre d’enlever ses chiffres rouges. Après des combats dans le secteur de Ethe-Longwy, le V AK et le GR 6 arrive le 7 septembre dans le secteur des Hauts de Meuse, que les Allemands appelleront Côtes Lorraines. Le V Korps est alors rattaché à un nouveau groupement d’armée, l’Armee Abteilung Strantz qui regroupe le bay I AK, le V AK et la 33. RD qui constituait jusqu’alors la défense mobile de la place de Metz. Par un curieux hasard de l’Histoire, ces unités occupent début septembre quasi sans combattre les Hauts de Meuse, dans le secteur des hauteurs au-dessus de Saint-Maurice jusque vers Deuxnouds aux Bois. Mais le 12 septembre, le GR 6 évacue ce secteur pour se replier derrière la rivière Orne, vers Jeandelize.
Puis du 19 au 24 septembre, le V AK tente d’avancer en direction de ces hauteurs abandonnées une semaine avant. Le GR 6 arrive par Avillers puis avance sans trop de difficulté jusqu’à Thillot.
Il arrive ensuite à atteindre les premières pentes des hauteurs entre Combres et Hattonchatel mais se heurte ensuite à un couvert boisé très dense coupé par de profonds ravins qui entraîne de durs combats en forêt. Dommartin puis la tranchée de Calonne, dite Grande tranchée de Calonne, sont atteintes le 21 septembre (carrefour avec route Dommartin-Dompierre). Le 22 septembre, le GR 6, installé le long de la Tranchée de Calonne dans le sud du Bois Saint Rémy voient arriver les soldats du 259 RI. C’est le début d’un combat violent où le GR 6, soutenu par l‘artillerie allemande, contre-attaque. C’est à proximité de cette dernière que l’historique du GR 6 évoque explicitement le 22 septembre l’épisode d’une ambulance du GR 6 attaqué par 2 officiers français et une quarantaine d’hommes. Infirmiers et blessés sont abattus. Même si une méprise de la part des Français reste plausible, les Français n’ayant pas identifié une unité sanitaire, les pertes chez cette dernière sont lourdes avec 8 tués. Les hommes du GR 6 vont venger leurs camarades, traqueront ces Français, les trouveront, en tueront au combat et, selon l’historique, en exécuteront même sans jugement. Parmi ces Français se trouvait Alain-Fournier, l’auteur du Grand Meaulne.
Les 23-24 septembre, le GR 6 avance jusque dans le secteur Vaux-les-Palameix, notamment sur le bois des Chevaliers qui va devenir le futur front. Malgré la poursuite d’attaques vaines les jours suivants, les hommes du GR 6 s’enterrent sur place et commencent à aménager des positions. Ils font leur première expérience de la guerre de position jusqu’au 2 oct avant d’être relevé et d’aller au repos dans le secteur de Saint-Maurice. Le II/GR 6 de Hoffmann va à Billy-sous-les-côtes.
Les unités se figent sur place.
La 10. ID a à sa droite la 9. ID et à sa gauche la bay 6. ID. Immédiatement au nord se trouve la 33. RD face à Combres. La 10. ID retrouve les positions conquises de haute lutte, délimité par ND de Palameix - Fonte de B(a)ugny et Lamorville-Bois de Lamorville. La 19 IB, composée du GR 6 et de l’IR 46, occupe la partie N du secteur Bois des Chevaliers, limite la Selouze – Seuzey-Bois Verine, va alterner les rotations entre les positions et l’arrière jusqu’au 15 novembre, date à laquelle la rotation entre régiments est remplacée par un nouveau système, celles des K d’un même régiment avec comme conséquence collatérale la diminution des secteurs à tenir. Le GR 6 occupe le secteur au nord de la route forestière « tranchée des hautes ornières ».
Les positions tenues continuent à être aménagées ou réaménagées. Mais Hoffmann va très peu connaître cette nouvelle organisation. En effet, le 21 novembre, une épidémie de typhus se déclare au II/GR6 et à la 2K. L’ensemble de ces hommes est mis en quarantaine à Ville-sur-Yron, près de Mars la Tour. Ils vont rester là jusque début janvier. Si cet évènement permet à Hoffman et à ses camarades d’être éloignés du front pendant presque 1 mois et demi, c’est au prix de 50 malades et 14 morts. Hoffmann passe Noel en quarantaine et reçoit les cadeaux envoyés par les habitants de Posen au GR 6. Hoffmann et le II/GR 6 reviennent entre le 2 et 14 janvier dans de nouveaux baraquements à Hattonville
Les mois de janvier et février se déroulent dans le même cadre du bois des Chevaliers au milieu de la forêt sombre et humide dans des retranchements sans cesse renforcés. Quelques attaques limitées rompent la monotonie. Ainsi le 23 février, plusieurs unités de la 19. IB dont Hoffmann et sa compagnie, la 7/GR 6 ainsi que la 8/GR6, sont envoyés sur la crête des Eparges pour soutenir la 33. RD. Hoffmann et sa compagnie y restent en second position pour faire des travaux de fortification puis reviennent au bois des Chevaliers.
Les pertes restent faibles au GR 6 : en janvier 7 tués et 21 blessés, en février 3 morts et 19 blessés
Le mois de mars commence également de manière calme. Le premier tiers du mois ne voit pas d’évènement notable mais les jours suivants, des tirs d’artillerie de plus en plus puissants ont lieu. Quelques attaques ont lieu, notamment d’une tranchée le 11 mars. C’est sous ces bombardements intermittents qu’une importante réorganisation des secteurs défensifs a lieu, suite au choix de triangulation des divisions allemandes (qui a pour conséquence notamment de retirer un des 4 régiments d’infanterie pour pouvoir en créer des nouvelles). A la 10.ID, c’est le JR 46, qui occupe le secteur immédiatement au sud du GR 6, qui quitte la division. La conséquence directe pour le GR 6 est que ce dernier doit occuper du 18 au 21 mars en plus de son secteur les ¾ de celui du IR 46 (sous secteurs a, b et c), dont les hommes sont retirés progressivement. Ce secteur est repris le 22 mars par le JR 47
Tous ces mouvements ont dû attirer l’attention des Français et de leur artillerie. Car c’est au cours de ces opérations, le 19 mars, qu’un tir d’artillerie française très violent, tir de mines françaises, blesse Hermann Hoffmann qui est sur les positions du GR 6 ou sur l’un des sous-secteurs a, b, c du JR 46. Il est évacué vers le Feldlazarett proche de Viéville-sous-les-Côtes, installé dans les deux écoles, le presbytère, l’église et cinq Döckerschen Baracken près de l’église. Il s’agit d’un FL du V. AK. Ses blessures sont graves comme l’indiquent les VL et il ne survit pas à ces dernières. Il décède le 30 mars 1915 dans ce même lazarett.
Hermann Hoffmann fait partie des 13 tués et 54 blessés du mois de mars. S’il est inhumé sur place, son équipement a connu une seconde vie, en tous cas pour son couvre-casque. Ce dernier porte en effet les chiffres verts du RJR 76. Ces deux unités n’ont aucun lien ni organique (pas dans le même BA, ni dans la même région) ni temporel (ces deux unités n’ont jamais été sur le même champ de bataille). L’explication la plus logique est la suivante.
L’armée allemande, dans un contexte de pénurie, récupère tous les équipements des soldats ne pouvant plus servir pour les réaffecter normalement dans les BA des régiments mais, parfois, aussi dans d’autres BA, en fonction des besoins urgents. Des transferts de pièces totalement atypiques ont ainsi existé. Un exemple récent a ainsi été montré par Rheinbaben avec un casque de pionnier du 16 Pio Rgt réutilisé pour équiper le RIR 234.
Ici Viéville-sous-les-Côtes est à 45 km de la place de Metz qui devient une plaque tournante pour les équipements, avec sa vingtaine de magasins d’habillement tout arme confondu. En outre, la 10 ID et la 33. RD, qui relève de la place de Metz pour son équipement, combattent dans le même secteur, la 33. RD sur Combreshohe, Hoffmann avait fait partie des unités envoyées en renfort en février. En outre, le 29 mars, elles reçoivent l’ordre d’inversion de leurs secteurs respectifs 10 ID/33 RD.
Reste à comprendre comment ce couvre-casque se retrouve au RJR 76. L’historique de ce dernier nous donne une explication. On y apprend que le 6 mars 1915, le RJR 76 qui est à Beuvraignes, dans le nord de la France, reçoit 400 hommes en renfort qui forment notamment deux nouvelles compagnies, les 13 et 14 K. Avec ces renforts, le RJR 76 comporte plus d’hommes de troupe, 3295, qu’à la mobilisation, 3038, malgré les pertes successives des combats depuis août 1914 ! Un immense effort d’équipement a donc été produit par les magasins d’habillement du RJR 76, qui dépend du IX Korps, début mars pour permettre ce renforcement en hommes. Or plusieurs pièces montrées ici témoignent, déjà avant-guerre, de la grande pauvreté en équipement des unités du IX Korps (JR84, FR86, etc qui réutilisent de vieux casques de près de 20 ans d’âge) mais aussi la richesse des unités encasernées dans les régions silésienne et posnanienne (Breslau et Posen, secteur du V. Korps de Hoffmann), casque tout neuf de 1905 versé directement au LJR19, casque du RJR46 versé tout neuf en 1904 au 3B de cette unité ne s´occupant pourtant encore uniquement que des rappels périodiques des réservistes.
Il est alors aisé de comprendre que ces magasins exsangues du BA IX ont alors fait appel aux différentes structures existantes pour récupérer du matériel. La place forte de Metz a dû répondre à cet appel et le couvre-casque de Hermann Hoffmann, qui est récupéré fin mars, fait partie des pièces d’équipement envoyées. Une simple application de peinture permet un réemploi de ce couvre-casque au sein du RJR 76. Il semble avoir même connu l’ordre de suppression des chiffres verts en octobre 1916 puisque les chiffres semblent avoir été gratté.