Parcours tragique d'un artilleur du 59e RA, de Lorette au Mort-Homme...

Bonjour à tous, je vous présente un ensemble de documents qui retrace le parcours militaire tragique d'un artilleur français entre autre dans son journal de marche, celui d'André Rougier, né le 24 septembre 1892 à Vierzon. Il fait partie de la classe 1912 et il est affecté sous le matricule 1108, au 59eme Régiment d'Artillerie où le Dépôt est à Chaumont. Il sera tué à son poste de téléphoniste (Maître Pointeur), à Montzéville (Mort-Homme) dans la Meuse, le 22 juin 1916.  

J'ai donc essayé d'être concis en retranscrivant quelques extraits du journal de cet artilleur afin de souligner la précision chronologique des événements et la clarté du phrasé de cet électricien dans le civil.  






Alsace,Août 1914.

Le 59e R.A.C. (A.C.21) se concentre dans la région de Rambervillers (Vosges) et se dirige
vers l'Alsace.
Le Col de Saales est franchi, le Mont Donon enlevé, Schirmeck occupé. Mais ces succès ne
sont pas remportés sans de lourdes pertes : les 4e et 5e batteries sont anéanties et la 6e privée
de son capitaine, assure sa mission avec le IVe groupe; la 3e batterie forcée d'abandonner
ses pièces, les reprend à l'ennemi.
A partir du 20 août, l'Armée française bat en retraite et les groupes se replient tout en prenant
part aux combats de Raon-l'Etape, Neuf-Maisons, Mesnil.
Le Régiment se reforme à Grandvillers (Vosges), la 3e batterie passe au IIe Groupe: 24 août-5
septembre.

Dans l'après-midi nous apprenons que la mobilisation générale est déclarée...


A 2h nous arrivons à Val Et Chatillon, nous formons le parc sur le bord de la route et
nous nous couchons sur le bas-côté sous les arbres...



Marne.
(Septembre 1914).


Embarqué en chemin de fer, le 5, le Régiment prend part, en Champagne, aux affaires de
Meix, Tiercelin et Sompuis. Porté ensuite en avant, par Coole, Vésigneul, Bussy-le-Château,
il participe à la bataille qui se livre entre Suippes, Souain et Perthes (15 au 30 septembre).

Vers 10h un servant est blessé. Quelques instants après, le chargeur de ma
pièce est également blessé...




Notre-Dame-de-Lorette.
(Octobre 1914 au 15 Août 1915).


Le 1er octobre, les quatre Groupes, dirigés par voie de fer, de Châlons-sur-Marne vers le Nord,
se mettent en batterie dans la région de Notre-Dame-de-Lorette : Le Ier, au Mont-Saint-Eloi ;
le IIe, au Ravin de Marquefles et à Bully-Grenay ; le IIIe, à Aix-Noulette et le IVe, à Villers-aux-Bois.
Pendant le mois de décembre, le R. A. C. soutient plusieurs actions importantes : le 1er, il
prépare l'offensive contre le village et le château de Vermelles et enraye plusieurs attaques
ennemies. Le 7, l'objectif étant atteint, le Ier Groupe transporte ses pièces à Aix-Noulette.
Pendant les premiers mois de 1915, le Régiment reste sur place ; les lignes se fixent, le
secteur se calme. Le Ier Groupe s'établit, le 22 avril, à la Fosse Calonne ; le IIe, à Noulette.
Nos troupes s'emparent du Grand Eperon.
En mai 1915, la bataille est générale entre Arras et Lens, les batteries appuient avec vigueur
l'offensive contre le plateau de Notre-Dame-de-Lorette. Les 33e et 2e Corps déclanchent
l'attaque, le 9, à 10 heures ; un premier assaut enlève trois lignes ennemies, les pièces
avancent, le fortin de la Chapelle est pris.
Les tirs précis et nourris du Régiment ont largement contribué à la réussite de l'affaire; le
plateau entier est en notre possession.La Division, dont fait partie le 59e R.A.C., est citée à l'ordre de l'Armée.
Les Ier et IIe Groupes sont complétés par les 44e et 45e batteries du 14e R.A.C.

Nous prenons position à 11h à l'ouest de Grenay, nous démolissons
une batterie ennemie...


J'en repars aussitôt conduire ma pièce à Noeux-Les-Mines,
pour la faire visiter...


Nous allons quitter la Fosse N°7 pour aller à Aix, où une forte attaque
doit avoir lieu...


Drôle de Noël et échange de cadeaux avec les allemands. Nous
leur envoyons quelques cigares d'acier...


Les avants-trains viennent nous chercher pour nous emmener
au repos à Hersin-Coupigny...


Je suis pour 48h planton téléphoniste d'artillerie, auprès du commandant
du 360e occupant les tranchées de Lorette...


L'artillerie donne, c'est un vacarme assourdissant, nos troupes progressent
dans la direction de Souchez...


Vers 8h, le signal de l'attaque est lancée et dans un ensemble parfait,
toute l'artillerie déverse pendant 2 heures, des torrents de fer et de feu...


La fusillade donne, nos fantassins sont à l'assaut. D'heure en heure, on
nous apprend leur progrès. C'est Lorette et son amas de défenses...


Journal d'un Groupe d'artilleurs édité en juillet 1915 sur la ligne de front
par un imprimeur de Noeux-Les-Mines (Artois).





                                   A suivre...






Byng

Bonsoir Robin,

Ce seras avec plaisir pour lire la suite.
Merci beaucoup.
Cordialement,
Jean-luc
...ou plutôt une tisane à cette heur-ci

Bonjour,

merci pour ce partage de documents. Tu connais son grade ? Il a une belle écriture, un orthographe parfait et une manière d'écriture qui est bien tournée.
En lisant la partie de mai 1915, il relate bien la violence des bombardements, on se doute bien que ça devait être terrible.

Daneck

Bonsoir Robin

Merci pour ce post, les artilleurs, surtout ceux des R.A.C. sont souvent oubliés. Pourtant les obus tombent partout...

À bientôt pour la suit.

JP43

.../Suite.

C'est un chaos de terre bouleversée, de sacs, d'armes, de baïonnettes,
d'objets de toutes sortes...


2 mots sur Aix: ce malheureux village est complètement dévasté. l'ennemi
le bombarde chaque jour...


C'est une attaque ennemie, elle est repoussée. A ce moment mes lignes
sont coupées...


Je termine ma nouvelle installation et peu après un obus de 150
défonce le 1er étage de la maison...


A 21h je quitte la batterie pour aller en permission et je vais prendre le
train à Hersin-Coupigny...



Les feuilles volantes tirées d'un bloc-note qui permettaient à notre artilleur
de recopier proprement son journal sur un cahier d'écolier.



Artois (Ille et IVe Groupes).
(Octobre 1915 à Mars 1916).

Au début d'octobre, les six premières batteries s'installent dans la région Commercy-SaintMihiel,
entre Rambucourt et Beaumont, les six dernières luttent activement pour briser la réaction ennemie.
En décembre, à Saint-Mihiel, le Régiment soutient des attaques contre le Tombois et le bois
de la Maillette et, en Artois, les IIIe et IVe Groupes s'établissent dans les cantonnements de
Blangerval et Blangermont.
En janvier 1916, les batteries d'Artois sont relevées dans le secteur qu'elles occupaient depuis
quinze mois et sont envoyées au repos à Auchy-les-Hesdin. Durant le mois de février, les tirs
d'artillerie augmentent d'intensité dans le secteur de Saint-Mihiel.
Les pièces des deux premiers groupes bouleversent les tranchées ennemies et, en représailles,
sont fortement arrosées par des obus de tous calibres ; le 27, nos canons s'acharnent contre
Richecourt, les Allemands ripostent sur Rambucourt, la 2e batterie est particulièrement
éprouvée, mais son tir ne ralentit pas ; le 28, nous battons le Tombois ; le 29, Géréchamp,
l'ennemi réplique sur Bouconville.



Je rentre en subsistance dans une compagnie de territoriaux car je
dois suivre des cours du génie...


Nous effectuons un tir de destruction sur une maison suspecte de Richecourt
maison dite: du cantonnier...



Les dernières lignes à la date du 24 janvier 1916 que le téléphoniste Rougier
a pu reporter dans son cahier.



La citation à titre posthume, effectuée par son régiment.



Le courrier adressé par le capitaine trésorier du régiment au maire de la commune
dont était originaire André Rougier, qui demande de faire parvenir la médaille militaire
à la famille du défunt.



Un des deux livrets militaires du Maître-Pointeur Rougier où a été reporté la mention:
"Tué à l'ennemi le 22 juin à Montzéville. Mort pour la france."


L'autre livret militaire maculé de terre, certainement celui qui a du être récupéré sur
le soldat à ses derniers instants.



Région de Verdun (Ier et IIe Groupes).
(15 Mai 1916 au 25 Juillet 1916).


Le 17 mai, les Groupes de Saint-Mihiel sont relevés, cantonnent à Méréville et Richardménil
(Meurthe-et-Moselle) et exécutent des manœuvres avec le 31e C.A.
Les IIIe et IVe Groupes font mouvement vers la Champagne et se mettent en batterie au bois
de Bouleaux et au Trou Bricot.
Les deux premiers Groupes se déplaçant, atteignent, le 4, Mussey (région de Verdun), puis
prennent position aux Bois Bourrus et à Montzéville. Une sérieuse offensive débute, le 15
juin, le Ier Groupe tire devant les tranchées Boivin et Guilbert ; un violent bombardement
cause, à la 1re batterie, des pertes sensibles.
Le 16, le régiment d'infanterie, soutenu par la 3e batterie, enlève d'assaut une tranchée
sur les pentes Sud du Mort-Homme, l'artillerie allemande riposte et la 3e
batterie doit, sous un feu intense, évacuer sa position ; sa troisième pièce,
dont les servants ont été ensevelis, est citée à l'Ordre de l'Armée. Le 24, les Allemands reprennent pied dans la tranchée Boivin ;
La 1ere batterie est réduite à une seule pièce. Du 13 au 30, les Groupes ont perdu 13 hommes tués
et 45 blessés. Le 11 juillet, un violent bombardement, accompagné de jets de liquides
enflammés, s'abat sur le Mort-Homme ; enfin, le 20, l'intensité de la bataille décroit dans cette
partie du Secteur.











Byng.

salut Byng
reportage intéressant sur cette artilleur
voici en complément une photo de l'emplacement d'une des batteries qui tirait sur lorette , de nombreuses douilles de 75 y furent retrouvées

a l'emplacement de la rangée des 4 arbres se trouvé la limite de l'ancien bois qui donne un visuel sur la colline de lorette

Emouvant témoignage sur ce soldat.
Je suppose que l'ensemble des documents et le casque ont été conservés par la famille jusqu'à aujourd'hui ?

Bonjour à tous.

Merci Byng pour la suite de cette histoire triste mais très réaliste.

Belle photo Fablou. Je crois reconnaître cet endroit, Notre coin est vraiment chargé de lieux d'histoire et d'histoires.....On n'y voit plus grand chose aujourd'hui, sauf pour les vrais curieux intéressés.

Bon weekend à tous.

JP43

Bonjour messieurs et merci pour vos appréciations chaleureuses, pour répondre à Festwagner, l'ensemble de ces précieux documents ont été récupérés il y a plusieurs mois en un seul lot, malheureusement le casque qui figure dans ce post ne fait pas partie des effets personnels de cet artilleur. Pour Fablou qui a rajouté une photo d'un secteur que le 59e RA a occupé, je rajoute quelques lignes de ce journal de marche.









Byng

Re.
Il se serait dirigé vers Acq en descendant de Lorette par Mont St Éloi au hameau de Bray pas loin de la vallée de la Scarpe..Me trompè je?....ça mène vers Arras le long de la rivière.
J'adore cette histoire.

JP

quarentroeunpourtro a écrit:

Re.
Il se serait dirigé vers Acq en descendant de Lorette par Mont St Éloi au hameau de Bray pas loin de la vallée de la Scarpe..Me trompè je?....ça mène vers Arras le long de la rivière.
J'adore cette histoire.

JP

Non JP, ils ne se situent pas sur Lorette, comme on peut le voir dans le journal de marche, le Ier Groupe se pose dans le secteur du Mont St Eloi dès la première semaine d'octobre 1914, le IIe au Ravin de Marqueffles et à Bully-Grenay, le IIIe à Aix-Noulette et le IVe à Villers-aux-Bois.



Byng

bonsoir ,

remarquable parcours de cet homme

honneurs a tous ces bérrichons

Sorry Sir Byng...

Je marche au "gros" pif et sans boussole!
Mt St éloi, Ravin de Marqueffles, Aix Noulette, Villers au bois....
Bien dispersés les 4 groupes de batteries.... De toute façon, un très sale coin à l'époque.
Cela n'enlève rien à cette belle et tragique histoire!
Soignons nous bien!

A+ bientôt.

JP

Hello Robin,
pour ce très intéressant post ( ça fait plaisir à revoir sur HM ), en plus sur un secteur qui me parle
Encore pour ce travail et surtout partage

Joe

Bonsoir Robin et à tous,

Merci beaucoup pour ce post qui rend hommage à l'un de nos Gars.

Cordialement et tout à chacun prenez soins de vous .
Jean-luc

Bonjour Robin,

très beau lot, il y a du travail à tout lire et tout répertorier et comparer aux sources officielles, mais c'est une vraie mine d'or de tels documents. Le récit décrit-il la chasse à l'ennemi en août 1914, telle que Paul Lintier la raconte dans "Ma pièce" ? En tous cas, l'aviation ennemie très active était efficace à diriger les coups allemands.
Même destin pour tous les deux, Lintier plus jeune d'un an et tué quelques mois avant, en mars 1916...Les artilleurs de 75 ont payé un lourd tribut car ils étaient très exposés à des tirs de contre-batterie auxquels souvent ils ne pouvaient répliquer.

Merci du partage, c'est "du lourd".

Cordialement.
P. Lamy

p.lamy a écrit:

Le récit décrit-il la chasse à l'ennemi en août 1914, telle que Paul Lintier la raconte dans "Ma pièce" ? En tous cas, l'aviation ennemie très active était efficace à diriger les coups allemands.
Même destin pour tous les deux, Lintier plus jeune d'un an et tué quelques mois avant, en mars 1916...Les artilleurs de 75 ont payé un lourd tribut car ils étaient très exposés à des tirs de contre-batterie auxquels souvent ils ne pouvaient répliquer.

Bonsoir et merci pour l'intérêt porté à ce post. Je vous joins deux autres passages qui font ressortir le sentiment d'une stratégie de déplacements rapides des Groupes d'artillerie afin de surprendre l'ennemi. Il faut dire que nous sommes là encore aux premières semaines de la guerre de mouvement contrairement aux autres années qui suivirent avec les multiples inventions engendrées par la guerre de position.














Byng

Bonjour Robin,

C'était la tactique d'emploi du 75 mle 1897, le harcèlement avec des déplacements fréquents, quelques obus et hop, on quitte la position. Le capitaine à l'avant de la batterie, les 4 pièces en retrait suivant ses ordres qui dirigent les tirs.
Mais ces carnets sont vraiment bien et surtout très lisibles . On vit vraiment à côté de la pièce, comme avec Paul Lintier.
La coopération aéros/artillerie avait lieu aussi côté français. Par contre 90 coups, cela vide rapidement le caisson de cartouches de la pièce. Après la batterie compte plusieurs caissons par pièce, mais on arrive vite à bout de l'approvisionnement en munitions. Je crois que la dotation en août 14 comptait plus de fusants que de percutants.

Merci encore.
P. Lamy

Bonjour Robin et Patrice,

Merci beaucoup pour ces compléments d'informations.
Cordialement,
Jean-luc
...ou plutôt un thé à cette heure-ci et une part de tarte aux myrtilles

bonjour
pour mettre une photo sur le terrain pour mieux comprendre voici des photos prise a l'époque ou je cherchais a comprendre les stratégies d'attaque sur lorette de ces points vue ont a un visuel parfait ,d'où la stratégie d'y mettre des batteries
emplacement a 100 mètres prêts d'une des batteries avec un visuel sur l'objectif ou l'on voit la tour lanterne de notre dame de lorette


deuxième emplacement situé dans un léger creux toujours a 100 mètres prêts

Bonjour beau reportage

Bonjour Fablou,

on est loin des ondulations du plateau lorrain, le terrain paraît assez plat, les batteries devaient certainement être mi-enterrées...Mais la position était vraiment dangereuse.

Selon ces photos, prises côté français ou côté allemand, provenant de deux albums différents, des emplacements de canon de campagne de 75 mm ou 7,7 cm :



Bien cordialement.
P. Lamy

Bonjour à tous, je rajoute à mon post, une petite photo réalisée devant le Mont-St-Eloi (dont on distingue une tour en arrière-plan),
elle représente un canon de 155 long à l'orée d'un bois.














Byng

Bonjour Robin.

Merci de ressusciter ce post.

Ce bois qui dissimule des "lourds" pourrait être du côte de celui de Marœuil tout près de Mt St Éloi et de Acq...à l'ouest de la chaussée Brunehaut en face de Neuville St Vaast.
Il suffit de s'y promener pour voir les cratères reçus en retour....Je ne sais quand.

Bon weekend à tous.

JP(quaren'tro)

bonsoir
ce 155 se trouve certainement sur l'un des deux talus a escoivres sur l'arriere de mont saint eloi ( talus encore boisé de nos jours)
de plus l'artillerie britannique a pris place a ces endroits en 1917