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 Correspondance d'un alsacien dans l'armée allemande

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medaille59
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MessageSujet: Correspondance d'un alsacien dans l'armée allemande   Correspondance d'un alsacien dans l'armée allemande EmptyMer Sep 03, 2008 9:57 pm

Bonsoir!

Je vous fait découvrir ici une pièce qui me tient à coeur : la correspondance d'un cousin de mon arrière grand-mère, récupérée il y a peu dans le fouillis des archives familiales.

Une quarantaine de lettres, télégrammes, que je vous livre par ordre chronologique.

Les originaux sont en allemand (origine familiale alsaciennes, donc j'ai eu des ancêtres dans l'armée française, d'autre dans l'armée allemande).

Il y a eu des pertes de lettres, donc quelques périodes sans correspondance ou interrogations dans certaines lettres sur des sujets apparemment abordé dans un courrier manquant. J'essaye de retranscrire le plus fidèlement possible, aussi, excusez le style... Entre crochet, les mots sous entendus,ou des précisions diverses...

Ca sera long, je suis seulement en train de recopier !

/biere/


Dernière édition par medaille59 le Mer Sep 03, 2008 10:00 pm, édité 3 fois
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medaille59

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MessageSujet: Re: Correspondance d'un alsacien dans l'armée allemande   Correspondance d'un alsacien dans l'armée allemande EmptyMer Sep 03, 2008 9:57 pm

Lettre n°1

Heidelberg, le 6.9.14


Chers parents,

J’ai reçu avec beaucoup de joie votre lettre, de même qu’une carte du 1er de ce mois. Les deux autres cartes, je ne les aie pas encore reçu jusqu’à aujourd’hui. Où elles peuvent se promener, je n’en sais rien. Il y a 15 jours, j’étais à Mannheim, où je n’ai pas encore trouvé de courrier pour moi.
Je vais toujours bien. Ici, nous n’avons rien à faire, sinon des marches. Nous nous en allons à 1h et nous restons [dehors] jusqu’au lendemain 1h. Après nous avons un jour de libre.
Chaque jour arrivent des blessés. En vérité, nous avons déjà 70 français ici, la semaine dernière, nous en avions 150. Quand ils sont un tant soit peu rétablis, ils vont plus loin. Ici, ils sont très bien traités et ont aussi une bonne nourriture. Chaque jour, ceux qui peuvent marcher viennent dans la cour où ils reçoivent aussi des cigares et des cigarettes.
Je suis cantonné ici. Tout les 5 jours, nous avons un nouveau cantonnement, tous de bons cantonnements. Ici, on ne souffre absolument pas de manque de nourriture.
Vous n’avez pas besoin de vous faires de soucis pour moi, car je ne m’en irai probablement pas sur le champ de bataille. Comme je l’ai déjà écrit, j’ai d’abord été affecté au régiment de réserve n°110, où nous avons passé la visite [médicale]. Lorsque je suis sorti de la salle d’examen, il n’y avait plus d’uniforme : la compagnie était au complet, donc en excédent. Si j’avais voulu être un des premiers, alors je serais depuis longtemps sur le champ de bataille. Alors nous sommes arrivés au 40ème où nous avons été aussitôt libérés, en tant qu’excédent ; et de là au 110ème bataillon de dépôt. Alors, ma maladie de nerfs a de nouveau recommencé, plus fort que ce que j’ai déjà eu à la maison : maux de tête, pesanteur de l’estomac, et j’ai du beaucoup vomir. Je me suis fait examiner de nouveau, alors le médecin a écrit que j’étais bon pour le « service de place », donc impropre pour le service de campagne.
Lorsque j’étais dernièrement à Mannheim et que justement je cherchais à rentrer, j’ai appris que Louis W... gisait blessé à Mannheim, il doit avoir reçu une décharge à travers la mâchoire. Si ses parents connaissent son adresse, pourriez vous me l’envoyer pour que je sache s’il se trouve dans un hôpital, ou une école, ou ailleurs. J’aimerai bien lui rendre visite, mais je ne connais pas son adresse exacte, si bien que je pourrais peut-être aller de tous les côtés pendant toute une demi-journée, et finalement je ne le trouverai quand même pas, car je vois bien comment ça se passe ici.
Écrivez-moi donc une fois comment cela s’est passé à Mulhouse. Ici, on dit que les civils auraient tirés sur nos troupes. Nous, Alsaciens, nous avons été bien reçu dans le grand-duché de Bade, mais depuis que cela est connu, on entend beaucoup vitupérer contre les Alsaciens : c’est aussi inouï de tirer sur ses propres fils ! Mulhouse devait donc justement se distinguer de nouveau !
Est-ce qu’aucune de nos vaches n’a encore été abattue ? Est-ce que vous en attelez ? Y a-t-il déjà eu des Brunstattois tués ?
Dans l’espoir d’avoir bientôt de vos nouvelles, je vous salue tous.

Eugène

[Quelques lignes ajoutées en dessous, écriture différente, indéchiffrables]
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MessageSujet: Re: Correspondance d'un alsacien dans l'armée allemande   Correspondance d'un alsacien dans l'armée allemande EmptyMer Sep 03, 2008 10:14 pm

Lettre 2

Mannheim, le 7.10.14

Chers parents,
J’ai reçu avec beaucoup de plaisir votre lettre du 5 de ce mois.
Je suis toujours en bonne santé, et je pense que c’est aussi le cas pour vous.
Samedi dernier, toute la garnison, nous avons passé la visite [pour savoir si nous étions] bons pour le service : presque tous sont devenus « apte à faire campagne ». Maintenant, nous devons faire chaque jour une marche pour savoir si nous pouvons tenir bon.
Chaque jour peut venir l’ordre de prendre l’uniforme, mais aujourd’hui je ne pense pas que cela se fera cette semaine.
Effectivement, nous dormons sur une estrade de théâtre dans une fabrique, une paillasse posée à côté d’une autre. Lundi dernier, j’ai rendu visite à Jos A... : cela va bien pour lui, il est aussi possible qu’il obtienne une permission. Plusieurs d’entre nous ont déjà présenté une demande, mais peu ont reçu [une permission], tout au plus 4 jours.
De Marcel , j’ai reçu une carte, et je lui en ai aussi envoyé une en retour. Maintenant, il va sans doute recevoir régulièrement du courrier, s’il est toujours [illisible], j’en suis bien sûr. S’il ne peut pas toujours être [illisible], il doit seulement aller au secrétariat et vérifier le courrier, comme je le fais moi aussi. En ce qui concerne sa permission, il doit s’adresser au chef de compagnie. Je sais que le médecin ne peut accorder de permission à personne [pour aller] en Alsace. Il doit dire que le médecin lui a donné 15 jours de permission de convalescence, mais qu’il ne peut pas lui donner de permission en Alsace.
Le paquet au sujet duquel je vous ai écrit, les gens n’ont pas pu l’expédier. Aussitôt que la poste l’acceptera, ils vous l’enverront.
Ici, beaucoup de ceux qui avaient été réformés en permanence pour le « service de place » et qui avaient été renvoyés, ont de nouveaux été incorporés. Ils sont maintenant depuis 8 jours au front. J’ai pensé qu’il en a été ainsi pour Jean-Baptiste S... .
Si la femme de Jos ADAM vient par ici dimanche prochain et si Eugénie veut venir avec elle, elle doit m’apporter deux paquets de « Wilden Mann » et du papier, car ici on n’en reçoit pas. J’ai du papier dans ma chambre [sans doute à Brunstatt] ([illisible], 2 livrets).
Quand elles viendront, elles doivent prendre le tramway n°10 et aller jusqu’à la « Neckarbrücke », de là elles sont en une minute chez A... . Ou bien envoyez moi ou à lui, en cours de route peut-être, un télégramme [pour dire] quand elles arriveront.
Si je devais partir encore cette semaine, alors je vous enverrai un télégramme, pour qu’Eugénie n’ait pas besoin de venir.
En attendant, je vous salue tous,

Eugène
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MessageSujet: Re: Correspondance d'un alsacien dans l'armée allemande   Correspondance d'un alsacien dans l'armée allemande EmptyMer Sep 03, 2008 10:57 pm

Lettre 3

Dans la tranchée, le 1.12.14

Chers parents,
Je viens juste de recevoir avec joie et grand merci votre lettre, 2 paquets [de tabac], les sardines et le 2ème paquet. Le 1er paquet, je ne l’ai pas encore reçu, mais je peux encore le recevoir. Comme on me l’a justement dit, vous ne devez plus écrire « réserviste », mais « fantassin » puisque je suis dans un régiment d’active, et ainsi on fait plus attention ou les affaires doivent aller.
Depuis dimanche matin, nous nous trouvons de nouveau dans la tranchée, et nous serons de nouveau relevés samedi prochain. Ensuite nous aurons 2 ou 4 jours de repos et nous nous retirons de nouveau à Roye [Somme] où toute la compagnie sera logée dans une maison. Le régiment [88ème RI, 21ème DI, 18ème CA] se tient déjà depuis 5 semaines dans cette position et il est possible que nous restions encore longtemps ici, s’il n’y a pas d’attaque.
Pour nous, fantassins, un coup de feu est rarement tiré. Par contre, l’artilleur tire tous les jours. L’infanterie française tire plus souvent, mais sans résultats. Chez nous, les munitions ne sont pas tellement gaspillées. Depuis que je suis ici, nous avons eu dans notre compagnie 4 morts, aucun blessé. Deux ont été tués par un tir de shrapnell, les deux autres ont trouvé la mort par étouffement, car leur abri s’est effondré. Ils venaient juste d’entrer avec moi [dans le sens « incorporé »]. Pendant le journée, nous nous trouvons dans l’abri, et un homme de chaque groupe est de faction, il est relevé chaque heure. Par contre, la nuit, il y a un deuxième homme de faction. Nous avons aussi à travailler durant presque toute la nuit : dans la tranchée, il y a toujours quelque chose à réparer.
B..., je l’ai tout de suite rencontré le 1er jour à Roye, mais plus depuis, il est dans le 89ème régiment. Au 88ème régiment, il y a encore 3 Brunstattois : CH..., AM... et Barth. SCH... son camarade, mais nous ne pouvons nous rencontrer que rarement.
Dans toute la région, c’est assez dévasté : des villages qui sont entièrement détruits, des champs entiers plein de betteraves à sucre qui sont encore en plein air et qui vont périr. Dans la tranchée, nous avons n’avons comme couche que du blé qui n’a pas été battu.
Vous me demandez de vous écrire ce que vous devez m’envoyer et ce que je préfère avoir. Cela m’est égal, l’essentiel est seulement d’avoir toujours quelque chose avec le pain. Vous n’avez pas besoin de m’envoyer trop de choses : si je n’ai pas toujours le saucisson avec le pain, avec un morceau de chocolat, je suis aussi content. Jusqu’à aujourd’hui, je n’avais encore rien d’autre. Vous n’avez pas non plus besoin de m’envoyer un paquet chaque jour. Vous pouvez m’envoyer un crayon à encre, un carnet ou un grand portefeuille pour les cartes et papier à lettre, et aussi une paire de chaussettes.
Vous m’écrivez aussi que la mère me tricote des pulls et des « chauffe-cœur ». Vous n’avez pas besoin de m’envoyer ces affaires, j’ai encore assez de ces choses. Des pulls et des « chauffe-oreilles », j’en ai deux paires de chaque, que j’ai reçu en cadeau à Heidelberg. La semaine dernière, chaque homme a touché en cadeau une couverture de laine.
Envoyez moi plutôt du « Wilden Mann ». Le dernier tabac que vous m’avez envoyé est trop fort pour moi.
Dans le bon espoir que cette lettre vous trouveras en bonne santé, je vous salue tous.

Eugène

Salutations à Sœur Octavienne .
- quand on est couché, c’est difficile d’écrire.
- S’il vous plait, écrivez moi plus souvent !
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MessageSujet: e   Correspondance d'un alsacien dans l'armée allemande EmptyMer Sep 03, 2008 11:16 pm

salut JB,
je tiens a te remercier pour ce partage, j'ai hâte de lire la suite

_________________
site à voir https://histoiremilitaria2.1fr1.net/
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https://lagrandeguerre.1fr1.net
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MessageSujet: Re: Correspondance d'un alsacien dans l'armée allemande   Correspondance d'un alsacien dans l'armée allemande EmptyMer Sep 03, 2008 11:47 pm

/merci/

C'est assez émouvant en fait, j'ai les originaux dans la main, et se dire que ca a été écrit au fond d'un tranchée pour certains... Neutral

Allez, la suite :

Lettre 4

En tranchées, le 13.12.14

Chers parents,
Je viens de recevoir avec grand plaisir une lettre, le journal et un paquet. Des 14 paquets que vous m’avez envoyés jusqu’ici, je les ai tous reçu sauf deux. Mais je ne les reçoit pas vraiment selon leur ordres d’envoi.
Mercredi soir, nous nous sommes mis en marche à partir de Roye pour nous retranché et nous avons travaillé jusqu’à 5 heures du matin. Du retranchement, nous nous sommes portés dans une position dans laquelle nous devons rester 10 jours.
Depuis que nous sommes de nouveau en position, nous avons de la pluie. Vous pouvez donc bien penser comme c’est agréable avec des vêtements mouillés. Dans la journée, nous sommes à peu près tranquilles, par ci par là seulement il tombe un tir d’infanterie. Par contre, l’artillerie tire plutôt de jour. Les français ont essayé deux fois de nous attaquer cette semaine, mais chaque fois, ils ont été repoussés. Hier soir, nous avons été de nouveau assez dérangé : de 7h du soir jusqu’à 1h du matin, nous sommes restés debout, prêts à tirer. Les français ont tirés sur nous un violent tir d’artillerie. Nous pensions qu’ils voulaient attaquer mais apparemment, ils n’en ont tout de même pas eu le courage. L’adversaire qui attaquera ici aura de lourdes pertes.
Le matin où nous avons quitté Roye, un obus a de nouveau défoncé une maison. Il en résulta 1 mort et 7 blessés. Le mieux serait que nous fassions partir plus loin les personnes civiles qui se trouvent encore à Roye. Plusieurs personnes ont déjà été arrêtées parce que, pendant la nuit et avec des signaux lumineux, ils faisaient des signes aux français, et quand même, ils ne s’arrêtent pas pour autant.
Sur le champ de bataille, nous avons déjà été vaccinés deux fois à la poitrine. Avec cela, on a de fortes douleurs pendant quelques jours. Chacun est vacciné trois fois.
Pour ce qui est de la nourriture, cela me parait moche. Le matin, un demi quart de café froid, et le soir le repas est de nouveau froid, surtout par temps de pluie, si seulement nous n’avions que de l’eau dans la tranchée !
Dans la dernière lettre, je vous avait écrit que vous ne devez pas m’envoyer autant de paquets, mais continuez seulement à m’en envoyer, je vois que cela n’est pas de trop.
[illisible] vous n’avez pas besoin de m’en envoyer, car ils sont mouillé quand ils arrivent. Des bonbons à la violette, ou quelque chose de ce genre, c’est mieux.
Les genouillères, vous pouvez m’en envoyer, et un crayon à encre, quelques cartes de la poste aux armées, du papier à lettre et un carnet ou un grand portefeuille pour y placer mon matériel d’écriture.
S’il se passe de nouveau quelque chose chez vous, ce que je ne pas, Marcel doit m’écrire pour que je me mette en relation avec Martin à Heidelberg, où il doit lui-même m’envoyer des paquets : je peux donc lui envoyer aussi quelque argent.
Dans l’espoir que cette lettre vous trouvera en bonne santé et alertes, je vous salue tous.

Eugène
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Jasta

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MessageSujet: Re: Correspondance d'un alsacien dans l'armée allemande   Correspondance d'un alsacien dans l'armée allemande EmptyJeu Sep 04, 2008 5:06 am

Bonjour,
Très interessant et émouvant témoignage en effet /merci/ , d'autant plus qu'il émane d'un Alsacien originaire de Brunstatt, village de la banlieue mulhousienne qui se trouve à quelques kms de chez moi...

Cdlt
Jasta
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MessageSujet: Re: Correspondance d'un alsacien dans l'armée allemande   Correspondance d'un alsacien dans l'armée allemande EmptyJeu Sep 04, 2008 10:02 am

Lettre 5

Roye le 25.12.14

Chers parents,
J’ai reçu avec grand plaisir votre lettre du 15 de ce mois, ainsi que les paquets jusqu’au n°27. Le grand paquet, je l’ai reçu hier, il est vrai que la viande et la saucisse sont couvertes de moisissures, mais cependant pas abîmées. Je n’ai toujours pas reçu le premier paquet, mais j’ai déjà reçu deux paquets avec le même numéro.
En effet, nous nous trouvons au repos en tant que réserve à Roye, et demain matin de bonne heure, nous occuperons de nouveau la tranchée.
Hier soir nous avons fêté Noël. Nous nous sommes réunis dans l’école, nous avons chanté deux chants de Noël, un prêtre qui est avec nous au front a fait une allocution. Ensuite chacun a reçu trois paquets. Dans mes paquets, il y avait un caleçon, un couteau de poche, du lard et du saucisson, des cigares, des cigarettes et du tabac, des gâteaux et un cube de soupe. Nous avons été très comblés de ces cadeaux. Il y a eu aussi une loterie. Chacun devait tirer d’une boîte un billet, et celui qui avait tiré un numéro recevait encore quelque chose de plus. J’ai tiré le n°9 et j’ai reçu alors mon numéro, à savoir une boîte de cigares, avec un seul cigare, qui était emmailloté dans une masse de papier. Il faut dire qu’il y a encore des plaisanteries.
Le soir, nous avons eu encore sous les yeux de la bière et du vin, ce qui nous a bien plu. Nous avons fêté Noël, mais ce n’est quand même pas la même chose que quand on peut le fêter à la maison en famille, car pour plus d’un d’entre nous, les larmes étaient dans les yeux.
Les français nous ont aussi envoyés leurs cadeaux sous formes d’obus. Personne d’entre nous n’a été blessé, seule une personne civile a été tuée. Presque tous les jours, il y a ici à Goyencourt [N.N.O de Roye] des blessés ou des morts. C’est pourquoi nous ne passerons plus les jours de repos à Roye, mais à Gruny [N.N.E de Roye], où nous serons plus en sécurité qu’ici. Ici, les soldats du génie ont aussi abattu le clocher, pour que les français ne puissent plus avoir un bon point de mire, mais cela ne sert pas à grand-chose, ils ont déjà réglé leur tir.
Nous revenons justes à 6h30 du retranchement, et je veux maintenant continuer à écrire une lettre. Vous m’écrivez que B... Julius est au 87ème, alors il nous a sans doute déjà relevés dans la tranchée. On nous avait laissé le choix d’aller au 87ème ou au 88ème. Écrivez-moi dans quelle compagnie il est, effectivement il y a aussi ici en réserve un de leur bataillon.
Vous n’avez plus besoin de m’envoyer des lainages, tout au plus encore des genouillères. Des caleçons, j’en porte deux depuis longtemps et hier j’ai fait une grosse lessive.
J’ai bien assez à porter, et il n’y a pas de place dans mon sac.
Si vous m’envoyez encore des bonbons, alors envoyez-moi des bonbons à la violette, ou quelque chose de semblable. Ceux que vous m’avez envoyés jusqu’à présent sont toujours sérieusement mouillés, et le saucisson en est toujours barbouillé !
Le dernier tabac est trop fort pour moi. Marcel m’a écrit qu’il va me procurer du Job [papier à cigarette]. Si vous pouvez en avoir, vous pouvez aussi en acheter.
Hier j’ai aussi reçu un paquet de Martin de Heidelberg, contenant des gâteaux et des cigarettes.
Hier soir il a neigé, mais la neige n’est pas restée. Ce matin, il avait fortement gelé.
Je suis toujours en bonne santé et je vous souhaite la pareille.
Je vous souhaite à tous une heureuse nouvelle année et bientôt un joyeux revoir.
Salutations à tous

Eugène

Mes salutations aux sœurs.
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MessageSujet: Re: Correspondance d'un alsacien dans l'armée allemande   Correspondance d'un alsacien dans l'armée allemande EmptyJeu Sep 04, 2008 11:51 am

Lettre 6

Gruny, le 18.1.15

Chers parents,
J’ai bien reçu les paquets, qui sont toujours bien emballés, jusqu’au n°48. Les paquets d’une livre arrivent aussi vite que les paquets de1/2 livre.
Momentanément nous sommes ici au repos en tant que réserve. Après demain, nous, la 3ème compagnie, au lieu d’aller dans la tranchée, nous allons partir vers Goyencourt, probablement comme réserve, où nous resterons 8 jours. Ensuite nous resterons pendant la journée à Goyencourt, et de nuit nous marcherons plus près, vers la tranchée, où nous serons cantonnés dans la cave d’une ferme démolie à coups de canon, de sorte que nous soyons immédiatement disponibles en cas d’attaque.
Hier matin, nous autres catholiques, nous avons été à Carrépuis [village au N.E de Roye, Somme] où nous avons assisté à la Sainte Messe. C’est la 4èmefois que nous avons cette possibilité sur le front. Dans les prochains jours, nous aurons aussi de nouveau la possibilité d’aller à confesse.
Depuis plusieurs jours déjà, on n’entend ici rien d’autre que le tonnerre des canons. Depuis plusieurs jours, les français tirent sur notre tranchée. La semaine dernière, la 7ème compagnie a eu 1 mort et 2 blessés, et hier un homme tué par un coup de fusil. Presque chaque jour le régiment a des blessés, mais nous n’y faisons plus attention. Le fait que notre artillerie soit bien bombardée, nous l’avons vu il y a 8 jours hier. Notre groupe était de garde de jour et nous avons vus exactement comment les obus éclataient près de la tranchée. Il y avait aussi deux aéroplanes qui observaient où les obus tombaient et ensuite faisaient des signaux pour dire si on tirait trop loin ou trop court. On pouvait aussi voir un aéroplane ennemi, mais il ne volait pas plus loin que la tranchée ennemie.
La semaine dernière, nous avons aussi vu pour la première fois, des bombes [Mortier] françaises. Les bombes doivent être plus dangereuses que les obus : c'est-à-dire que depuis trois nuits déjà, ils nous en ont envoyés quelques unes, mais toutes sont tombées sur le 80ème régiment, qui se trouve à notre gauche. De toute façon, le 80ème régiment se trouve dans un coin dangereux : tous les jours ils ont des blessés. Du fait que nous avons aussi des bombes ici, les français devront aussi prendre garde.
La semaine dernière, il y a eu aussi à notre droite une attaque, où nous avons fait plusieurs prisonniers.
Mercredi sont de nouveaux passés de notre côté un sous-officier et 12 hommes avec armes et bagages. Tous des hommes de déjà plus de 40 ans, par conséquent il y a en face de nous un régiment de l’armée territoriale.
Dans la compagnie, nous n’avons plus que très peu de gens qui ont déjà fait leur service, mais le plus souvent des réserves qui devaient entrer au service à l’automne et des réservistes. Moi et Léo, nous devons être sans doute les plus âgés dans notre compagnie.
Nous avons encore toujours de la pluie, et aujourd’hui la 1ère neige, ce qui nous fait beaucoup de gâchis. Dans notre dernière position, notre groupe a dû 2 fois reconstruire la meurtrière parce qu’elle avait été renversée par la pluie. Ce travail est toujours pour moi, Léo et un autre Mulhousien, parce que les réserves n’ont pas la moindre idée [de ce qu’il faut faire].
Gruny est aussi passablement criblé de balles. Dans la maison où nous couchons, nous nous gelons beaucoup la nuit, bien que nous fassions du feu toute la nuit. C’est qu’on couche juste sur de la paille seulement et on n’a qu’une couverture. Le sol est en briques et le vent passe partout. Comme je l’ai entendu dire, nous devons revenir la prochaine fois à Roye.
Comment cela va-t-il à la maison ? Est-ce que tous sont en bonne santé ? Et avec le bétail, y en a-t-il un peu de vendu ? Les nouvelles de la maison me sont presque plus chères que les paquets. Toute la journée je pense à vous. Marcel m’écrit peu aussi. Dernièrement, je lui ai envoyé 10 marks, mais aujourd’hui je ne sais pas encore s’il les a reçus.
En vérité, je suis seul dans la pièce, tous les autres sont à l’exercice. C’est pourquoi je vais leur faire chauffer du café, pour qu’ils aient quelque chose de chaud quand ils rentreront. Par le même courrier, je vous envoie 2 paires de mitaines et une carte des environs.
Vous pouvez aussi m’envoyer des chaussettes russes ou une paire de bas.
En espérant bien que cette lettre vous trouvera au mieux comme elle me quitte, je vous salue tous.

Eugène

Est-ce que Joseph TSCH... est encore à la maison ?
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MessageSujet: Re: Correspondance d'un alsacien dans l'armée allemande   Correspondance d'un alsacien dans l'armée allemande EmptyJeu Sep 04, 2008 4:20 pm

La suite...

Lettre n°7

Fresnoy, le 8.2.1915

Chers parents,
J’ai reçu avec beaucoup de plaisir votre lettre du 24.1, ainsi que les paquets jusqu’au n°70.
Pendant 8 jours, je n’ai plus reçu aucun courrier, Léo et le mulhousien non plus, alors sans doute nous avons tout de suite pensé « quelque chose doit être arrivé à la maison », et nos pensées étaient toujours dans notre Patrie.
Comme nous nous sommes réjouis quand hier nous avons reçu une quantité de paquets et de lettres, cela vous pouvez bien le penser ! Et la lettre m’a causé un plaisir particulier.
Ce matin, nous avons été détachés de la 7ème compagnie, [partant] de notre cave à Parvillers [Parvillers-le-Quesnoy, N.O de Roye, Somme], et nous nous sommes retirés à Fresnoy pour 4 jours de repos. A Parvillers, ces 8 jours nous ont assez bien plu, c’était bien sûr bien plus beau que dans la tranchée, bien que les souris attaquent le pain et parfois aussi l’une d’entre elle nous courait sur le visage.
Dans la journée, nous avions seulement 1 heure à travailler, notamment quand l’artillerie arrêtait de tirer et que nous pensions être en sécurité. De nombreux tirs d’infanterie pénétraient dans le village.
Pendant cette heure, nous devions rassembler des planches et des poutres qui seront utilisées dans les tranchées pour [faire] des abris et d’autres ouvrages. Nous en avions rapidement rassemblé une quantité, car des maisons et des granges détruites, il y en a suffisamment.
Pendant la nuit nous avons quatre fois élevé des fortifications, et une fois transporté de la tôle ondulée dans la tranchée. C’est aussi tout un travail, car quand 4 hommes (d’avantage d’hommes ne peuvent le saisir) ont amené un tel morceau de tôle jusqu’à la tranchée, alors ils savent aussi ce qu’ils ont travaillé !
Dans la position où nous sommes maintenant, cela me paraît aussi plus dangereux que dans la dernière. Les canons tirent presque toute la journée, et la nuit un assez grand nombre de fois aussi. La tranchée est beaucoup bombardée par l’artillerie. Chaque jour, il y a des blessés et des morts.
Vous m’écrivez que maintenant Jos TSCH... va probablement aussi rentrer en campagne et qu’il va demander à venir chez nous : cela ne marchera sans doute pas, il ira dans un régiment où la relève est nécessaire ou dans un nouveau régiment.
J’ai reçu les cartes d’Alphonse, Marie de Mulhouse et Marie E... .
J’ai aussi toujours reçu les journaux et les cartes de la poste aux armées. Si je ne vous en ai encore envoyées aucune, cela vient de ce que j’en ai déjà reçu deux fois de Heidelberg.
En espérant bien par cette lettre vous trouver en bonne santé et dispos, je vous salue tous.

Eugène

Salutations à Camille et à Sœur Octavienne.
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MessageSujet: Re: Correspondance d'un alsacien dans l'armée allemande   Correspondance d'un alsacien dans l'armée allemande EmptyJeu Sep 04, 2008 4:22 pm

Lettre n°8

Fresnoy, le 13.2.1915

Chers parents,
Par la présente, je vous fais part que nous sommes toujours à Fresnoy, comme réserve.
Nous devions hier matin relever le 3ème bataillon dans la tranchée, mais comme le régiment ne doit plus rester en ligne que pour deux jours et que la relève est toujours liée aux circonstances, on a sans doute préféré que le 3ème bataillon reste encore deux jours dans sa position, et que nous restions en réserve à Fresnoy.
En fait, nous allons 15 jours en repos à Nesle [12km au N.E de Roye, Somme] pour la détente, mais sans doute y aura-t-il des exercices et des marches pour dresser les jeunes recrues.
Ici à Fresnoy, cela nous a assez bien plu, bien que nous soyons très près de la ligne de tirailleurs. Nous avons très joliment installé notre petite pièce où nous logeons à 5 hommes. Nous nous sommes arrangés une table et deux bancs. Nous nous sommes aussi procuré un fourneau que nous avons trouvé dans le village et que nous utilisons aussi bien pour la cuisine que pour nous chauffer. En fait, on doit tout se chercher et le rassembler, les maisons sont toutes vides. Ma foi, nous nous installons partout commodément, car nous trouvons que c’est quand même plus agréable quand on peut manger et écrire sur une table, au lieu de toujours s’asseoir par terre, comme le font la plupart. Le soir on se couche aussi sur la paillasse quand elle a l’air encore fraîche, plus volontiers encore que si on a marché partout avec des bottes sales, et qu’en plus, on a festiné à satiété.
Ici, presque partout, on ne voit que des maisons de torchis à un étage, avec seulement deux pièces.
Ce qui est le plus à déplorer ici dans les environs, c’est l’eau. Une eau aussi mauvaise qu’ici, je ne l’ai encore rencontrée nulle part. Si l’on n’a pas une trop grande soif, on ne peut pas la boire à l’état brut. Il n’y a que des puits, profonds d’environs 20 mètres, où l’on suspend un seau que l’on fait descendre et que l’on remonte de nouveau. Beaucoup sont aussi détruits, ou bien l’eau est trop sale, et par conséquent, il faut parfois aller loin pour se procurer de l’eau.
Nous pouvons être heureux d’avoir été relevé à Parvillers, car le jour même un obus est tombé dans la cave, où il y a eu deux morts et plusieurs blessés. Nous avons ici des caves très profondes, la plupart voutées. Il y a aussi beaucoup de maisons dans lesquelles se trouvent deux caves, l’une au dessous de l’autre, mais on ne peut plus y trouver de vin.
Un obus est aussi tombé dans la tranchée sur un abri, où tous ont été blessé, à l’exception d’un seul, natif de Flaxlanden.
Hier cela s’est passé assez joyeusement dans notre baraque. Nous avions en effet la visite de plusieurs camarades qui n’avaient pas de feu dans leur chambre. Alors on a fondé une « musique » avec harmonica, tambour, triangle, ustensile de cuisine et toute sorte d’autre matériel, et nous avons chanté et fait du bruit jusque tard le soir : il ne manquait que le vin et la bière !
Nous avons eu ma foi 6 jours agréables, nous ne savions presque pas faire passer le temps. Moi et Léo, nous n’avons jamais été de garde : en fait nous avons toujours été épargné, parce que nous sommes les plus âgés de la compagnie, et par ailleurs, nous n’avuions aucun service, comme faire de l’exercice deux fois une heure.
Demain marin à 9h, c’est la mise en route vers Nesle, espérons que cela aura meilleure allure qu’ici. Nesle doit être encore habité et peu détruit. Pendant 15 jours, nous serons aussi à l’abri des obus. Je vous écrirai plus tard de quoi ça a l’air là bas.
J’ai reçu les paquets jusqu’au n°76. Vous n’avez pas besoin de m’envoyer des pommes : jusqu’à ce qu’elles arrivent ici, elles sont fichues. Envoyez moi une fois des « Mettwûrst » [saucisse à tartiner] et le boudin est aussi meilleur que les « gendarmes » et le « Presswürst » [sorte de saucisson].
Dans le bon espoir que vous êtes toujours en bonne santé et alertes, je vous salue tous.

Eugène

Grand merci et bonnes salutations à sœur Octavienne.
Salutations de la part de Léo.
Envoyez moi l’adresse de Jos A... …
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MessageSujet: Re: Correspondance d'un alsacien dans l'armée allemande   Correspondance d'un alsacien dans l'armée allemande EmptyJeu Sep 04, 2008 5:15 pm

Bonsoir
/merci/ de nous faire partager ces documents familiaux, les lettres décrivent si bien la vie des soldats au front avec les problèmes de ravitaillement et la vie dans les tranchés...
Cdt
Fred
/biere/
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MessageSujet: Re: Correspondance d'un alsacien dans l'armée allemande   Correspondance d'un alsacien dans l'armée allemande EmptyJeu Sep 04, 2008 6:44 pm

I.R 93 a écrit:
Bonsoir
/merci/ de nous faire partager ces documents familiaux, les lettres décrivent si bien la vie des soldats au front avec les problèmes de ravitaillement et la vie dans les tranchés...
Cdt
Fred
/biere/

Oui, hormis le côté émotionnel, du fait de l'aspect familial, j'ai tenu à vous en faire profiter, car décrivant assez bien je trouve la vie au quotidien du soldat.

/biere/
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MessageSujet: Re: Correspondance d'un alsacien dans l'armée allemande   Correspondance d'un alsacien dans l'armée allemande EmptyJeu Sep 04, 2008 7:10 pm

Lettre n°9

Lanquevoisin [en fait Languevoisin,Somme], le 18.2.1915

Chers parents,
J’ai reçu avec beaucoup de plaisir votre lettre du 6, la carte du 12 de ce mois, de même que les paquets jusqu’au n°82. Jusqu’à aujourd’hui, les paquets 51 et 54 ne me sont pas encore parvenus.
En fait, nous nous trouvons à Lanquevoisin [sic] près de Nesle, où nous resterons 15 jours pour nous reposer un peu. Lanquevoisin [sic] est une toute petite localité, encore assez peuplée et peu touchée par les tirs. Nous logeons à 40 hommes dans l’école, où nous sommes couchés très à l’étroit tous ensemble, car la salle n’est pas trop grande.
A côté de l’école habitent 3 femmes qui ont encore une vache. Moi et Léo, nous y allons chaque jour 2fois, nous leur achetons du lait et nous faisons là bas du cacao ou du lait. Elles nous donnent le lait pour 16 pfennig le litre. Les gens sont là aussi en mauvaise posture, depuis le début de la guerre, ceux-ci ne savent plus rien de leurs parents. Depuis le début de la guerre, ils n’ont plus vu aucuns soldats français, à part des blessés.
Dernièrement, on pouvait lire dans un rapport français, que les français nous avaient attaqué près d’Andrechy [N.O de Roye, Somme], qu’ils nous avaient jetés hors de la tranchée et qu’ils avaient pris possession de celle-ci. Tout cela est inventé. Depuis déjà plus de 4 mois, nous sommes dans la même position, nous n’avons pas avancé d’un pas ni non plus reculé. Ici nous n’avons encore fait aucune attaque contre l’ennemi. Par contre, les français l’ont essayé plusieurs fois, mais jusqu’à présent, ils ont toujours été repoussés. Comme on nous l’a fait savoir, nous pouvons rester encore plus longtemps dans cette position.
Hier et avant-hier, on n’avait ici rien d’autre que le tonnerre des canons. Nous avons tout de suite pensé que les français avaient de nouveau projeté une attaque, qui s’était aussi produite hier soir près de Parvillers [N.N.O de Roye, Somme], dans la position où nous étions dernièrement. Nous devons avoir eu 90 morts et blessés, mais la plupart par le tir d’artillerie. Le nombre de français est beaucoup plus important, nous avons fait aussi des prisonniers.
Je ne crois pas qu’ils puissent faire une percée par ici, bien qu’ils soient de très bon soldats, supérieurs à nous en beaucoup de chose. Les russes par contre, nous les attraperons apparemment comme des souris qu’on attire dans la souricière. Quand ce sera une fois terminé avec la Russie, les français et les anglais suivront d’eux-mêmes.
Aujourd’hui, Léo s’est fait porter malade. Il est à l’hôpital à Nesle, à cause de ses nerfs. Quand nous avions à marcher, ne serait-ce que quelques kilomètres, il se plaignait toujours à moi, qu’il ne pouvait bientôt plus aller plus loin. Depuis que nous sommes ici, il s’allongeait toujours si tristement ça et là, et quand je lui demandais ce qui n’allait pas, il me disait toujours : « je remarque que cela va toujours plus mal pour moi, je ne peux plus le supporter plus longtemps, je dois me faire porter malade ». Il m’a dit que vous ne devrez rien dire de cela à ses parents, à part à sa sœur. Marie doit ensuite faire ce qu’elle veut, mettre ses parents au courant ou non. Tout ce qu’il m’a dit, vous n’avez pas besoin non plus de le dire à sa sœur, gardez le pour vous. Peut-être qu’après quelques jours, il reviendra de nouveau dans la compagnie. Si cela m’est possible, j’irai le voir dimanche.
Demain, nous irons à Nesle, pour prendre un bain.
De Jos S..., j’ai reçu une carte, à laquelle j’ai répondu tout de suite.
De Marcel, j’ai reçu une carte de Halle [Allemagne Orientale], mais je ne pense pas qu’il va pouvoir tenir bien longtemps, avec son bras.
Grâce à Dieu, chez moi cela va toujours bien, je suis toujours en bonne santé, et j’espère qu’il en est de même pour vous.
En envisageant volontiers une paix prochaine, je vous salue tous.

Eugène

Répondez moi vite (prompte réponse).


Dernière édition par medaille59 le Jeu Sep 04, 2008 10:50 pm, édité 1 fois
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MessageSujet: Re: Correspondance d'un alsacien dans l'armée allemande   Correspondance d'un alsacien dans l'armée allemande EmptyJeu Sep 04, 2008 7:25 pm

Lettre n°10

Roconcourt [en fait Roquencourt, Oise], le 9.3.1915

Chers parents,

J’ai reçu avec grand plaisir votre lettre du 1er mars.
Samedi, nous avons été relevés de la tranchée, et nous avons marché vers Lanquevoisin [sic], où nous avons eu un jour de repos.
Hier et aujourd’hui, nous avons marché et nous sommes arrivés ici. Demain, nous avons encore une marche de 24 kilomètres à faire et ensuite nous serons embarqués.
En fait, 2 régiments du corps d’armée sont partis.
Je ne sais pas où nous allons, probablement en Russie.
Il était aussi question d’aller en Hollande, les anglais veulent là-bas faire une percée.
En tout cas, nous allons d’abord en Allemagne.
En attendant, écrivez-moi à l’ancienne adresse, jusqu’à ce que j’en sache davantage.
En attendant, je vous salue tous.

Eugène

Continuez d’envoyer des paquets.
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MessageSujet: Re: Correspondance d'un alsacien dans l'armée allemande   Correspondance d'un alsacien dans l'armée allemande EmptyJeu Sep 04, 2008 8:42 pm

Pfiou, la suivante est très longue...

Lettre n°11

De la tranchée, le 21.4.1915 [lieu inconnu]

Chers parents,

Hier soir j’ai reçu avec grand plaisir votre lettre du 14 de ce mois.
J’ai reçu des paquets jusqu’au n°125 : il me manque 119 et 122, et j’ai reçu tardivement les suivants : 110, 113 et 114. Nous sommes de nouveau en position depuis le 16 et restons jusqu’au 23. Pendant ce temps, nous ne recevons que les lettres, car il est difficile de distribuer les paquets.
D’après votre lettre, il me semble que vous n’avez pas reçu ma dernière lettre.
Nous avons ici une très mauvaise position, et nous nous réjouissons beaucoup d’être de nouveau relevés le 23. Ici, tous les 8 jours, nous arrivons dans une autre position : une fois vers l’avant puis de nouveau vers l’arrière dans l’emplacement de l’artillerie, une fois à droite puis de nouveau à gauche.
Dans la position précédente, nous recevions de tous les côtés des tirs en écharpe, mais nous en étions assez bien protégés, car entre chaque homme on avait édifié des sacs de sable.
Mais les français nous envoient aussi par ici des bombes, et nous naturellement, faisons de même. A ces bombes, il faut le plus prendre garde, mais on peut bien les éviter, si on ouvre bien les yeux : on les voit très bien arriver, ils volent très haut et tombent doucement.
Pendant 48 heures, on n’a naturellement pas le droit de dormir, et aussi lorsque nous arrivons là [en campagne], nous recevons du lard à emporter, parce qu’on ne nous apporte pas de repas chaud. Mais avec le lard, on attrape une forte soif, et alors le bidon est bientôt vide. Pour aller chercher de l’eau, on a besoin de 3 bonnes heures, et c’est alors qu’on est très exposé au danger, car le boyau de communication est très bombardé par l’artillerie. Bien qu’il faille bien faire ce chemin et qu’il soit exposé au danger, ils y en a toujours quelques uns qui partent pour chercher de l’eau. Par endroit, nous sommes éloignés de l’ennemi de 20 à 100 mètres, 100 mètres étant le plus loin.
Lorsque nous étions là la dernière fois, nous en avons aussi subit des choses, jusqu’à ce que nous soyons passés par le boyau de communication ! Car il avait plu pendant toute la journée, et lorsque nous avons dû y passer de nuit, par endroit la boue nous montait plus haut que les genoux.
Le lundi de Pâques, j’ai aussi eu de la chance, Dieu merci ! Un obus est tombé à moins de 2 mètres de moi. Mon voisin poussa un cri, moi et un mulhousien, nous avons couru un peu vers la droite, et c’était notre chance, car aussitôt 3 autres pièces sont tombées. A l’un, cela lui a brisé le bras et déchiré le ventre, il est mort quelques heures plus tard. Comme il nous l’a encore dit, ce n’est que le 2ème obus qui lui a ouvert le ventre.
Quand nous sommes de nouveau revenus en position le 16, nous avons encore également été salués par des obus et des chrapnelles [sic], mais il n’y a eu qu’un blessé.
Le 17 au soir, devant le feu de l’artillerie, la cuisine roulante a dû de nouveau prendre la fuite, de sorte que seulement quelques hommes ont reçu à manger.
Le 18, nous nous sommes déplacés un peu plus loin sur la gauche, là où nous étions aussi en première position. Là, nous étions aussi par endroit très près de l’ennemi, et là nous avons eu aussi de nouveau un tué dans la compagnie. Entre nous et l’ennemi, encore beaucoup de morts étaient étendus, en majorité des français.
Le 19 à 7h du soir, nous avons soutenu de nouveau un très violent tir d’artillerie ; cette fois ils n’ont pas tirés tous les coups trop loin et beaucoup d’obus éclatèrent dans la tranchée. Mais, dans la compagnie, nous n’avons eu qu’un blessé, mais ceux qui étaient plus loin à gauche ont eu 42 victimes, la plupart des morts. Dans notre groupe, 2 obus sont tombés sur le toit [de notre abri], mais personne n’a été blessé, seulement des saletés ont été propulsées dans notre repos [abri], de sorte que nous pouvions juste le flanquer dehors. L’artillerie nous bombarde toujours à ce moment [le repas]: comme je le suppose, ils [les français] doivent entendre les cuisines roulantes lorsqu’elles approchent, mais ils ne peuvent pas bien les voir, car elles font routes dans une petite vallée.
Le 19 à 9 heures du soir, nous nous sommes déplacés de nouveau, un peu plus loin à gauche dans la 2ème position : ici, ce n’est pas aussi mauvais pour nous : nous recevons seulement le tir de l’artillerie, mais nous sommes difficiles à atteindre, car nous sommes sur la pente de la colline et la plupart des obus explosent devant nous ou dans la vallée.
Ce soir, nous nous déplaçons sur la position précédente et le 23 nous serons relevés par un autre régiment.
Depuis que nous sommes en position ici, nous avons eu 3 morts et quelques blessés, ce qui est très peu par rapport à d’autres compagnies.
Je pense que le « Français » [écrit « der Franzmann », terme probablement péjoratif] ne risquera pas un autre assaut, je pense qu’il en a encore plein le dos du 19 mars, car ce n’est pas une petite chose que 45000 pertes [allusion probable à l’offensive de Champagne de la IVème armée française] ; nous par contre, nous n’en avons eu que 15000.
Lorsque les 2 jours de repos sont arrivés, nous les avons passés, non pas dans des villages comme Roye, mais dans des abris. La dernière fois, nous étions deux compagnies mises à l’abri sous une grande tente.
Depuis 3 jours, je me contente de saindoux et de pain, ce n’est que le soir que nous recevons quelque chose à manger. Quand nous sortirons le 23, nous ne savons de nouveau pas où nous mettrons notre paquetage.
Je ne sais pas où nous irons en partant d’ici, dans tout les cas je crois que nous auront quelques jours de repos. Comme je l’ai entendu dire, du côté de Sedan, là un nouveau corps d’armée doit être formé. Mais chaque jour arrivent d’autre « radio-cuisine », si bien qu’on ne peut compter sur rien. Ce qui est sûr, c’est que nous serons relevés le 23.
Le « Mettwürst » que j’ai reçu dernièrement était excellent et dure plus longtemps que le « gendarme » [« landjager » : saucisse fumée plate alsacienne], car on peut l’étaler sur le pain, tandis qu’avec deux « gendarmes », on n’a pas vraiment mangé. Quant aux œufs, je crois à peine qu’ils finissent par arriver entier. Quant aux œufs durs, ils sont parfois aussi passablement gâtés, bien que je les aie toujours mangés en premier. Pour changer, envoyez-moi aussi de nouveau des sardines. Vous n’avez pas besoin de m’envoyer davantage de paquets : lorsque je les reçois normalement, j’en ai suffisamment. La boite en fer blanc, je vous la renverrai en retour, quand nous reviendrons vers l’arrière. Provisoirement, je n’ai pas besoin de chaussettes, elles sont encore toutes en bonnes état, seulement, toutes sont sales : de tout le mois, je ne suis pas arrivé à faire la lessive !
Comme vous me l’écriviez, vous aviez aussi à loger des soldats, mais d’après votre lettre, pas des fantassins : ils n’ont pas autant de chance que l’artillerie ou la cavalerie.
Ce mois ci, nous avions le plus souvent beau temps, nous avons le droit de nous en réjouir, sinon on serait encore tombé malade ici, car nous avons ici un abri très médiocre, sans paille. Mais depuis que nous sommes arrivés ici, nous avons assez bien restauré la position.
Tout est de nouveau rempli de poux, et certains sont complètement écorchés, bien que nous nous soyons baignés il y a 15 jours. Jusqu’à présent, j’ai été assez préservé de ce mal.
Sinon, je suis encore toujours en bonne santé et j’espère la même chose pour vous.
Dans l’attente de tout cœur d’une paix prochaine, je vous salue affectueusement.

Eugène

Salutations à Camille, à la famille WUN... et à sœur Octavienne.
Ajoutez-moi de nouveau au prochain paquet une glace de poche.
Répondez-moi promptement !


Dernière édition par medaille59 le Lun Sep 08, 2008 5:22 am, édité 2 fois
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MessageSujet: Re: Correspondance d'un alsacien dans l'armée allemande   Correspondance d'un alsacien dans l'armée allemande EmptyJeu Sep 04, 2008 9:39 pm

Lettre n°12

Galicie, le 29.5.1915

Chers parents,

J’ai reçu avec plaisir une carte du 11 et du 19 mai ; par contre la lettre du 3, jusqu’à aujourd’hui, je ne l’ai pas encore reçue. Pour les paquets, depuis que nous sommes en Galicie, seulement un a été reçu, en fait le n°141, mais il me manque encore les 3 précédents. Le courrier, nous l’avons reçu presque chaque jour, mais les colis postaux, seulement une fois. Mais ce soir, on doit nous en distribuer quelques uns. Il faut dire qu’il [le courrier] doit être acheminé sur plus de 100 kilomètres par voiture. Mais, les munitions pour l’artillerie passent devant, sinon nous serions en mauvaise posture.
Probablement on devra jeter beaucoup de matériel : si les russes lors de leur retraite n’avaient pas fait sauter les ponts de chemin de fer, tout cela n’existerait absolument pas. Par endroit, ils ont même jeté dehors la voie ferrée. Mais nous espérons maintenant qu’elles sera bientôt réinstallée.
En fait, nous nous trouvons à quelques kilomètres derrières Yaroslav [sic], sur le San, dans une forêt où nous avons enlevé une position fortifiée. Pour l’instant, nous n’irons pas plus loin. En fait, nous sommes assez tranquilles, seulement nous soutenons passablement le feu de l’artillerie. Les russes ont reçus plusieurs régiments en renfort, ils nous ont déjà attaqué plusieurs fois, presque chaque soir, mais chaque fois, ils ont été repoussés avec de lourdes pertes.
Ici, il n’y a que du terrain sablonneux, sur lequel on se gèle passablement, quand on se couche pour dormir. Nous avons cherché et rassemblé de la mousse et des aiguilles de pin, sur lesquelles nous dormons car ici, il n’y a pas de paille.
Sur le champ de bataille courent de tous côtés des chevaux abandonnés, des cochons avec des porcelets. Naturellement, nous attrapons les cochons quand c’est possible, mais en le faisant, il faut faire attention, car ils sont le plus souvent entre les 1ères lignes. Nous fouillons aussi les villages et les fermes incendiées, nous cherchons des pommes de terre ou tout ce qu’on peut trouver à manger. Quelques uns ont aussi déjà trouvé dans le village du lard qui avait été enterré, mais vraiment tout a été mangé, car, pour le dire en un mot, nous devons « nous mettre la ceinture » : pour le repas du midi, 2 fois du café et 1/3 de pain ou de biscuit, voila notre nourriture. Ce mois ci, les russes ont justement reculés passablement, ils ont presque tout emporté avec eux, et la ligne de chemin de fer détruite ne peut être rétablie en un jour.
En ce qui concerne le fait de fumer, cela ne va pas non plus pour le mieux. Il est vrai que j’ai aussi fumé du « Schwarzter » [tabac noir ?] qu’un mulhousien avait encore, mais je n’ai quand même pas encore fumé de la mousse, comme je l’ai déjà vu faire. Les allumettes sont aussi rares. Si on peut avoir à Mulhouse des mèches à briquet, vous pourriez m’en envoyer quelques unes pour mon appareil. Je pense qu’à Mulhouse, on doit aussi connaître les nouveaux appareils.
Pour l’instant, j’en ai bien assez des poux. Les premiers, je les ai remarqués pendant le voyage. J’ai donc fait passer par la fenêtre du train la chemise accompagnée du caleçon ; mais le lendemain, j’en avais de nouveau quelques uns. Depuis, si c’est possible, je m’épouille chaque jour : quand j’enlève chemise et caleçon, je les examine minutieusement. Aujourd’hui, rien que pour ma cravate, j’en ai tués plus de 20 ! Mais tout cela ne sert à rien, on ne peut tout simplement pas s’en débarrasser. J’ai déjà aussi lavé ma chemise, en la savonnant comme il faut, mais aucun n’en est mort, et quand la chemise était sèche, je ne pouvais que recommencer à m’épouiller. L’huile de fenouil ne sert pas non plus à grand-chose. Je suis égratigné sur tout le corps : quand on transpire, cela vous brûle formidablement. Au pied gauche, j’ai aussi attrapé une plaie que je me fais bander tous les deux jours.
J’ai bien reçu la lettre du 3 [probablement écrit postérieurement au début de la lettre, où il est dit que la lettre du 3 n’est pas arrivée] mais je n’ai touché de nouveau aucun paquet poste. Vous ne pouvez m’envoyer maintenant que des denrées qui se conservent bien. Envoyez moi aussi de nouveau un crayon à encre et quelques cartes.
Je suis toujours en bonne santé et j’espère qu’il en est de même pour vous.
Je vous salue tous.

Eugène

Salutations à Camille et à Sœur Octavienne
Ne vous inquiétez pas si vous ne recevez rien de moi pendant tout un mois, car ici cela est bien possible.
Je pense que nous allons aussi de nouveau partir d’ici.
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MessageSujet: Re: Correspondance d'un alsacien dans l'armée allemande   Correspondance d'un alsacien dans l'armée allemande EmptyJeu Sep 04, 2008 10:30 pm

Lettre n°13

Galicie, le 5.6.1915

Chers parents,
Par la présente je vous fais part que je suis toujours en bonne santé et dispos.
Depuis3 jours nous recevons des colis postaux. J’ai reçu jusqu’au n°142 et 145, et je recevrai bien encore les 143 et 144. Il faut dire que le courrier ancien et le nouveau sont pêle-mêle. Je pense recevoir les paquets en 8 jours, apparemment, le courrier n’a pas besoin de plus de temps. Depuis hier, le chemin de fer va jusqu’à Jaroslav. Mais avec la nourriture, cela ne va pas encore beaucoup mieux !
En fait, nous nous trouvons encore toujours dans la même position. Les russes attaquent souvent, mais ils sont toujours repoussés avec de lourdes pertes. Notre adversaire est beaucoup plus fort que nous : en face d’un bataillon se tiennent 2 régiments russes. Comme nous le racontent les prisonniers, ils ne sont absolument pas instruits. Aujourd’hui, ils sont incorporés, et ensuite en 2 jours, ils arrivent déjà au front. Ainsi, de très nombreux russes désertent : dernièrement, quelques uns sont arrivés [chez nous] et ils apportaient même avec eux une mitrailleuse.
En réalité, nous sommes une division de réserve, et on a recours à nous seulement quand c’est nécessaire. Hier soir et avant-hier, ils nous ont de nouveaux attaqués, mais cela dura à peine une demi-heure, et il était de nouveau repoussés. Par endroit, des morts et des blessés russes sont couchés par troupes entières. La nuit, nous allons plusieurs fois à la recherche des blessés, mais il semble que les russes ne s’en préoccupent pas. Dernièrement, nous en avons cherché un, qui gisait dehors pendant 4 jours, avec 3 blessures par balles. Pour moi, cela me plairait bien ici bien plus qu’en France, si seulement nous recevions davantage à manger !
Mais je ne crois pas que nous sommes ici encore pour longtemps : on dit toujours que tel jour ou tel autre nous allons partir. Sans doute cela viendra inopinément, comme en Champagne.
Sans doute nous viendrons alors en Prusse Orientale, ou bien finalement contre les Italiens.
Aujourd’hui, nous avons reçu de nouveau des fusils allemands : nous en sommes bien contents, car avec ceux-ci, nous obtenons des résultats près de 2 fois supérieurs.
De Marcel, j’ai reçu sa photographie : il me semble que cela ne va pas mal pour lui et cela ne doit pas être trop grave avec sa maladie.
Vous pouvez provisoirement m’envoyer davantage, 2 paquets de tabac par semaine. Le saucisson et le jambon étaient encore impeccables, moisis seulement à l’extérieur. Vous pouvez aussi m’envoyer une mèche [à briquet] et un crayon à encre.
A l’occasion, et si ça marche, je vous renverrai la boîte en fer blanc et les chaussettes. J’aurai aussi besoin d’une paire de bretelles.
Ici, nous nous déplaçons le plus souvent dans des forêts, et l’ennemi fait de même.
Dans l’espoir que vous êtes tous encore en bonne santé et dispos, je vous salue tous.

Eugène

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Salutations à Camille et Sœur Octavienne.
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papy

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MessageSujet: Correspondance d'un membre de ma famille   Correspondance d'un alsacien dans l'armée allemande EmptyVen Sep 05, 2008 6:37 am

Bonjour Medaille59,

J'ai rarement lu un témoignage d'un combattant côté allemand, aussi émouvant et aussi vrai. Les détails qu'il donne, bien que tragiques pour certains, sont extraordinaires.

Puis-je l'utiliser par ailleurs, en citant la source ?

Je vous prépare l'historique du 88e

Papy
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MessageSujet: Re: Correspondance d'un alsacien dans l'armée allemande   Correspondance d'un alsacien dans l'armée allemande EmptySam Sep 06, 2008 5:14 pm

Lettre n°14

Valenciennes, le 4.7.1915

Chers parents,
Par la présente, je vous fais part que nous sommes arrivés ici le 2 de ce mois à 1h30 de l’après midi, et que nous nous sommes établis dans nos quartiers privés.
Nous avions délogés les russes jusqu’à quelques kilomètres derrière Lubacsow [ ?], où nous avons alors été relevés par un autre régiment. Mais, d’après les journaux, ils ont déjà maintenant dépassé la frontière.
Ensuite, nous avons dû faire 4 journées de marche, jusqu’à ce que nous arrivions à Jaroslav, où le 28 juin à 11h du matin, nous avons été embarqués.
Nous sommes passés par Debica, Tarnow, Granica, Gombrowitze et nous sommes arrivés à midi à Czestochowa, où nous avons été épouillés ; chacun a reçu du linge frais et nous avons pris un bain. Les vêtements, tout comme tout l’attirail en cuir, ont été mis dans un four qui a été chauffé jusqu’à une certaine température. Nous étions contents de faire disparaître ces « bêtes féroces » [sic, écrit « Bister », sans doute pour « Biester » = bête féroce par dérision], mais chez quelques-uns, les démangeaisons recommencent déjà !
Vers 10h du soir, nous étions de nouveaux embarqués et nous avons roulé par Ostrowo, Jarotschin, Schroda, Posen. Arrivé à Posen, nous pensions arriver chez Hindenburg [sic] contre les russes, mais nous sommes revenus en arrière, et nous avons vu alors que nous allion de nouveau vers la France. Tous nous aurions préféré rester en Russie, bien que, au point de vue du courrier et de la nourriture, cela aille bien plus mal qu’en France, et qu’en plus nous étions constamment en combat à découvert : il faut pourtant beaucoup mieux contre le russe [écrit « Ruß », péjoratif] que contre le français [« Franzman »]. Là [en Russie], nous n’étions pas autant exposés au feu de l’artillerie, ce que chaque soldat redoute le plus.
Le voyage a alors continué par Buk, Bentschen, Frankfort am Oder, Berlin, Gardelegen, Lehrte, Hannover, Minden, Bielefeld, Hamm, Hagen, Barmen, Düsseldorf, Mönchengladbach, Aachen [Aix la Chapelle], Luttich [Liège], Löwen [Louvain], Brüssel [Bruxelles], Braine-le-Comte [Hainaut], Mons et à 1h30, nous étions à Alenciennes [sic, lire « Valenciennes »].
Il n’y avait d’arrêts que pour des stations de ravitaillement, mais jamais très longtemps. Pendant le voyage, je vous ai envoyé différentes cartes, mais je ne sais pas si vous les avez déjà reçu, car elles sont retenues part la poste jusqu’à nous soyons arrivés sur les lieux.
Cette fois ci, je ne suis pas aussi bien tombé que la dernière fois à Bohain, avec mon cantonnement. Nous sommes ensembles 11 hommes et nous avons 6 lits, mais déshabillé, je ne voudrai pas m’y coucher ! Nous devions être cantonné à 3 hommes chez un riche monsieur, mais il n’avait pas de place, et ils voulaient donc nous loger dans un hôtel, mais qui était beaucoup trop éloigné de la compagnie et c’était compliqué pour nous. On ne se préoccupe plus tellement [de savoir] si on a un lit ou non, on est habitué à coucher partout.
Avenciennes [sic] est une belle ville : nous pouvons acheter de la viande, le saucisson est déjà plus rare. La bière dans les auberges, nous ne pouvons pas la boire, nous préférons l’eau : car la bière est amère et mauvaise. Mais il n’y a pas loin de nous un « foyer du soldat » allemand, où nous recevons de la très bonne bière, et en plus pas chère : 1 litre pour 20 pfennig. Pendant le voyage à travers l’Allemagne, nous ne pouvions acheter que du chocolat et de la limonade. Car la bière ou le vin sont interdits.
Jusqu’à aujourd’hui, je ne sais pas encore ou nous allons arriver à partir d’ici, mais je suppose que ce sera vers Arras, où ces derniers temps « il fait tellement de pétard » [sic].
J’ai reçu les paquets jusqu’au n°160. Me manquent les n° 135, 143, 158 et 159. Ici, nous n’avons pas encore reçu de courrier. Je vous ai écrit dernièrement que vous devez m’envoyer une paire de bretelles, que j’attends déjà depuis longtemps. Je pouvais bien m’en acheter une paire ici, mais je ne sais pas si je n’en ai pas déjà en route.
De LAN... , j’ai appris que ces derniers temps tant de Brunstattois étaient tombés ou avaient été blessés. Mais il ne savait pas les noms, cela m’intéresserait de les connaître.
Je ne sais pas combien de temps nous restons ici, aussitôt que nous partirons, je vous l’écrirai.
Je suis toujours en bonne santé et dispos et j’espère qu’il en est de même pour vous.
On vous salue de tous cœur.

Eugène

Salutations à Camille et à Sœur Octavienne.
Marcel est-il encore à Lötzen ? Je lui ai déjà écrit quelques fois, mais je n’ai pas reçu de réponses ; de vous, depuis le juin, je n’ai non plus reçu aucune lettre.







A suivre...

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MessageSujet: Re: Correspondance d'un alsacien dans l'armée allemande   Correspondance d'un alsacien dans l'armée allemande EmptySam Sep 06, 2008 7:14 pm

Lettre n°15

Valenciennes, le 11.7.1915

Chers parents,
Par la présente, je vous fait savoir que j’ai reçu hier les premiers paquets, à savoir les n° 165, 167, 168 et 169. Ceux qui me manquent, je les recevrai sans doute aujourd’hui ou demain. J’ai aussi reçu des journaux, mais toujours pas de lettres.
Nous avons aussi changé de quartier et nous couchons maintenant tous ensemble à l’Académie [ ?].
Comme vous le voyez, je me suis fait photographier : à ma gauche, il y a un certain BAN... de Pforzheim, qui a été blessé déjà pour la 2ème fois et qui est revenu parmi nous seulement depuis quelques jours. L’autre est un mulhousien qui a travaillé au Globe [Le Globe est un « grand magasin » de Mulhouse, genre « BHV », qui existe toujours je crois].
Est ce que Marcel est toujours à l’hôpital ? A quelle adresse doit-on exactement lui écrire ?
Nous resterons probablement encore quelques jours ici.
Je vais toujours bien et j’espère qu’il en est de même pour vous.
Je voue salue tous.

Eugène

Ici, nous recevons le courrier en 2 jours.


Dernière édition par medaille59 le Dim Sep 07, 2008 5:02 am, édité 3 fois
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Jasta

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MessageSujet: Re: Correspondance d'un alsacien dans l'armée allemande   Correspondance d'un alsacien dans l'armée allemande EmptySam Sep 06, 2008 7:49 pm

Bonsoir Médaille 59,
Toujours fidèle aux lettres de ton aieul, je te confirme que le magasin Globe existe bel et bien encore à Mulhouse... Wink

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MessageSujet: Re: Correspondance d'un alsacien dans l'armée allemande   Correspondance d'un alsacien dans l'armée allemande EmptySam Sep 06, 2008 7:51 pm

Merci Jasta !

Je suis en train de recopier, mais n'étant pas sur mon PC habituel, ca bug un peu ce soir...
Je vous mettrai en ligne la suite demain...

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MessageSujet: Re: Correspondance d'un alsacien dans l'armée allemande   Correspondance d'un alsacien dans l'armée allemande EmptyDim Sep 07, 2008 5:00 am

Lettre n°16
(LETTRE CENSUREE)

////////, le 31.7.1915

Chers parents,

Par la présente, je vous fais part de mon arrivée ici, le 28 de ce mois, à 7h du soir.
Nous avons été embarqués le //////// à 10h du soir dans //////// et le //////// à 5h du soir, nous sommes arrivés à //////// d’où nous avions encore à marcher pendant 1h pour arriver ici.
//////// est une très jolie ville, où cela me plait bien.
Je suis installé avec encore 6 hommes chez un aubergiste, bien sûr sans la nourriture. J’ai pour moi tout seul une chambre et un très bon lit.
Combien de temps allons nous rester ici, je ne le sais pas, mais probablement plusieurs jours. Nous devons être employé ici dans les montagnes, et ensuite, nous irons sans doute n’importe où, dans les Vosges.
Aujourd’hui, j’aurai pu venir à la maison jusqu’à lundi, mais pour un temps si court, je ne ferai pas ce voyage.
Si je ne peux pas avoir plusieurs jours, je ne fais pas le trajet.
Je vais voir si je peux partir avec le prochain convoi, s’il y a de nouveau 15 jours [de libre], mais quand y en aura-t-il de nouveau ?
Dans le bon espoir que cela va toujours bien chez vous, ce qui est aussi le cas pour moi, je vous salue de tout cœur.

Eugène
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MessageSujet: Re: Correspondance d'un alsacien dans l'armée allemande   Correspondance d'un alsacien dans l'armée allemande EmptyDim Sep 07, 2008 5:01 am

Lettre n°17

Pfalburg, le 8.8.1915 [lire Phalsbourg, Lorraine]

Chers parents,
J’ai reçu avec beaucoup de plaisir votre lettre du 30.7, et je pense que vous avez aussi dû recevoir la mienne de dimanche dernier.
J’ai reçu des paquets jusqu’au n°181, à l’exception du n°176.
Comme vous le voyez, nous nous trouvons toujours à Pfalzburg [sic]. Aujourd’hui, dans chaque compagnie, 15 hommes sont partis pour Shirmeck et seront là perfectionnés comme soldats du génie, et après 15 jours, ils reviendront dans la compagnie. Mardi, nous devons aussi faire une manœuvre de 3 jours vers Shirmeck. Nous ferons une partie du chemin par le train. Après la manœuvre, nous devrons retourner à Pfalzburg [sic].
J’ai reçu une lettre de Marcel, et cette semaine une carte avec sa photographie.
Vous m’avez aussi écrit que je dois m’acheter à Valenciennes que livrets de « Job » [papier à cigarette] : je m’en suis acheté 4, mais pas du « Job » : pour du « Job » je devais payer 40 pfennig pour 40 pièces !
Comme vous me l’avez écrit, je dois avoir rencontrer Paul SCH... de Bitschwiller : ce n’est pas vrai, je me demande bien qui a pu vous raconter cela ! Parmi le dernier recrutement que nous avons reçu, il y avait un [homme] de Bitschwiller : alors j’ai pensé que cela devait être celui ci et je lui ai demandé. Comme ce dernier me l’a dit, il croit qu’il est tombé, mais ne peut pas le dire avec certitude.
Dernièrement, je me suis aussi demandé comment cela se passait au sujet de ma permission ; alors on m’a dit ceci : puisque Mulhouse se trouve dans la zone des opérations, je devrai d’abord avoir l’autorisation du commandant en chef là bas. Dans ce cas, vous devriez vous adresser au commandant en chef à Mulhouse, ce que je ne souhaiterais cependant pas. Je vais encore attendre un peu maintenant, et alors je l’essaierai.
Eugénie doit faire des confitures pour m’en envoyer ; pour changer, j’aimerais mieux cela, plutôt que toujours de la viande et du saucisson.
Pourriez vous aussi m’envoyer de nouveau du cacao ou du thé ?
Sinon, cela va toujours bien pour moi, et j’espère qu’il en est de même pour vous.
Je vous salue tous.

Eugène

Ci joint : 2 photographies.
Répondez moi vite.


Dernière édition par medaille59 le Dim Sep 07, 2008 5:03 am, édité 1 fois
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