JE vous livre un temoignage d'un Poilu de la Loire
LETTRES DE JEAN BAPTISTE FARISSIER
écrites sur le front pendant la Grande Guerre de 14-18 -
MOMENTS FORTS - EXTRAITS
23 septembre 1914 :
Des Boches, nous en descendons pas mal.
1er octobre 1914 :
A chaque instant on risque de recevoir un obus sur la tête.
Je suis dans la Meuse entre Toul et Verdun.
Je ne suis pas trop malheureux.
11 octobre 1914 :
La vie que je mène depuis le début de la guerre est bien triste, il faut savoir souffrir sans se plaindre dans un moment pareil.
Je dors toutes les nuits dehors, souvent sous la pluie, je vous assure que ce n'est pas gai du tout de marcher toute une nuit sous la pluie pour se réchauffer et ne pas geler.
31 octobre 1914 :
On paie un prix fou ce que l'on peut avoir et ce n'est pas rare de payer une paire de chaussettes en coton 50 sous, le chocolat ordinaire 5 et
même 6 francs le kilo, alors on hésite un peu avant d'acheter à un tel prix.
Nous vivons comme des sauvages, on est obligé de se terrer comme des renards si l'on ne veut pas recevoir un obus sur la tête, toujours être sur le qui-vive.
1er novembre 1914 :
Je fais partie de l'armée de la WOEWRE dans la Meuse, les Boches ont une position imprenable, nous avons essayé de les déloger mais impossible car ils sont sur un coteau et dans des tranchées formidables, dans de telles conditions nous nous tenons sur la défensive en nous fortifiant le plus possible, mais les allemands en font autant de leur côté, et tu peux croire qu'ils nous dépassent, ils sont malins comme des singes ces moineaux, figure toi qu'en avant de leur ligne ils ont dressé des fils de fer auxquels sont attachées des sonnettes, la nuit tu t'avances en patrouille , car le jour il ne faut pas y compter, tu touches un de ces fils et la réponse ne se fait pas attendre, tu reçois une volée de coup de fusil.
Ils ont beaucoup d'obus, mon vieux je me demande un peu où ils prennent toutes ces munitions. Certains jours ils n'arrêtent pas de tirer, ce qu'il y a de mieux à faire dans ce cas c'est de rester coucher dans une tranchée.
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Je vais te donner quelques chiffres et tu jugeras des pertes que nous avons eues depuis le début de la campagne : nous sommes partis de Lyon le 6 août 1914 avec 250 hommes, nous avons reçu un renfort de 185 hommes, nous étions donc 435 et actuellement nous sommes 138,
297 hommes tués, blessés ou disparus,
Dans mon escouade sur 14 que nous sommes partis de Lyon nous restons 3 seulement, du côté des officiers c'est pareil, c'est le 3ème commandant et le 5ème capitaine.
Je me demande comment j'ai fait pour me tirer d'affaire jusqu'à ce jour.
Nous sommes toujours en première ligne.
6 novembre 1914 :
Je suis au repos depuis 2 jours, j'ai quitté ce lieu où depuis plus d'un mois je végète comme une bête.
Toujours le froid et la pluie et nous couchons dehors quand même, que veux-tu c'est la guerre, si j'ai le bonheur de revenir je ne saurai plus coucher dans un lit, depuis le début j'ai couché une seule fois dans un plumard où la veille les Boches s'étaient établis et que nous avions délogés.
Les nouvelles de la guerre ne sont pas trop mauvaises, il paraît que dans le Nord nos braves soldats font du bon boulot et massacrent ces sales Boches.
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Tu n'as pas eu comme moi la chance de voir cette race de près, ou du moins si tu as sûrement vu des prisonniers mais dans ce cas là ils sont plutôt calmes, faut les voir à la guerre pour les juger.
13 novembre 1914 :
Ma lettre n'est pas bien intéressante et bien courte, mais dans ces moments là les idées ne sont pas bien précises et je vous prie de m'excuser si je ne suis pas bavard.
16 novembre 1914 :
Je suis tellement abrutit par ce métier de soldat.
17 novembre 1914 :
Je crois t'avoir dit que comme cabot Fourrier je touchais 52 centimes par jour, c'est plus que suffisant pour le tabac et les petites choses telles que chocolat etc.............. car il faut te dire que chaque jour un cycliste va à Commercy faire des provisions pour la Compagnie.
La santé est toujours bonne mais la vie toujours aussi triste, voilà 107 jours que cela dure, si tu voyais dans quels état nous sommes, toujours dans la boue jusqu'au chevilles.
Maintenant que presque tout le monde est possesseur d'un passe-montagne nous ressemblons un peu aux esquimaux.
22 novembre 1914 :
Dans ma dernière lettre je te disais que les galons de sous-off ne m'attiraient pas, il vient de m'arriver une tuile qui m'a fait plaisir.
J'étais dans la tranchée en train de tirer mes 24 heures lorsqu'à 8 h du soir un poilu vient me chercher en me disant qu'il fallait aller tout de suite vers le Capitaine, je me demandais ce qu'il y avait de cassé, enfin j'arrive dans sa « cave », car je crois t'avoir dit que nous creusions des trous de 2 m afin de nous abriter des obus lorsque nous sommes dans les bois, il me dit qu'il avait choisi les deux meilleurs cabots de la compagnie pour suivre un cours spécial de sous-off et que je me trouvais du nombre.
Ce cours doit durer 15 jours et nous sommes à 20 km des boches, que c'est tranquille mon vieux de ne plus entendre toute la journée des coups de fusil ou de canon moi qui depuis trois mois entend ce bruit chaque jour.
Enfin me voilà peinard pendant 15 jours et ce qu'il y a de chic c'est que j'ai dégoté un plumard pour coucher pendant ce temps, que c'est bon de pouvoir se déshabiller et s'allonger dans les draps, tu sais c'est meilleur que passer les nuits dans les tranchées à se geler car dans ce pays il fait un froid de loup et on ne peut se chauffer que la nuit pour ne pas faire voir la fumée.
5 décembre 1914 :
Je vais trouver la vie des bois bien dure maintenant que j'ai pris l'habitude de la vie de famille, car tous les soirs nous faisions une petite veillée, nous devrions partir demain rejoindre les tranchées mais nous avons reçu
l'ordre de rester 8 jours de plus, je ne m'en plains pas du tout, c'est toujours ça.
Je suis en très bonne santé, j'ai un appétit féroce, la vie au grand air il n'y a rien de tel aussi j'engraisse sérieusement maintenant alors qu'au mois d'août et septembre j'avais une triste figure, on ne mangeait pas tous les jours et puis la fatigue de ne pas dormir et se battre jour et nuit, nous étions tous éreintés, mais maintenant tout le monde boulotte bien, moi pour mon compte je mange le double qu'avant de partir.
14 décembre 1914 :
Depuis fin septembre je me trouve dans la Meuse tout près de St Mihiel dans les bois où nous sommes installés pour l'hiver dans de grandes cabanes que nous avons creusées de 2 m de profond, par un temps sec on n'est pas trop mal, mais par un temps pluvieux comme nous avons depuis longtemps déjà, ce n'est pas rare de voir 10 à 20 centimètres d'eau et il faut coucher là-dessus si l'on ne veut pas rester dehors.
Dans cette boue il faudrait changer de chaussettes au moins 6 fois par jour et encore on aurait toujours les pieds mouillés.
Comme poux ce n'est pas ce qui manque, la galle fait des siennes également, presque tous les jours il y en a qui sont évacués pour ces deux raisons. J'ai eu la chance de passer 23 jours en arrière j'ai pu me nettoyer un peu ce n'était pas du luxe, rester 4 mois sans se déshabiller ….. vous voyez dans quel état on se trouve.
Ce que je les regrette ces beaux jours, j'étais habitué à ce nouveau genre de vie et c'est presque avec regret que j'ai repris le chemin des tranchées, mais cependant le Devoir est là et je n'ai pas le droit de me plaindre.
Pour Noël nous allons avoir une bouteille de champagne pour quatre, on nous soigne bien.
17 décembre 1914 :
Me voilà de nouveau dans les bois mon pauvre vieux , j'ai repris de nouveau la vie sauvage.
Je vais plus aux tranchées, je fais la fonction de fourrier, le Capitaine m'a dit que j'allais être nommé sous peu, mon prédécesseur a été cassé parce qu'il se saoulait, on touche maintenant du taffia en grande quantité et il avait un faible pour cette liqueur.
Je m'occupe de toutes les distributions, je passe une partie de la nuit dehors car le jour il ne faut pas songer à se faire voir sans quoi les marmites ne sont pas longues à arriver.
5 janvier 1915 :
Nous avons changé de région où cela barde sérieusement, nous sommes dans l'ARGONNE.
8 janvier 1915 :
Si vous voyez la vie que l'on mène ici c'est affreux, de l'eau jusqu'au genoux, tous les jours il y a au moins 50 soldats du bataillon qui sont évacués pour pieds gelés . Ce n'est pas un beau spectacle à voir.
Nos tranchées sont de 5 à 10 mètres des Boches, on peut même se parler, je ne l'aurais jamais cru mais pourtant c'est réel.
Où est donc ma petite vie tranquille que je menais autrefois, il me semble que j'ai toujours été soldat.
9 janvier 1915 :
Quelle vie misérable ici, c'est affreux.
De l'eau plus haut que les genoux.
J'en arrive à envier le sort de ceux qui sont tombés au début, ils sont heureux au moins ceux-là, c'est affreux je te dis, jusqu'à maintenant j'ai eu toujours bon courage mais il passe des moments tu sais où je suis bien abattu et bien triste de voir l'existence que nous menons, on vit un peu comme des bêtes, ceux qui sont en arrière ne peuvent pas s'imaginer ce que c'est.
Je te dis que nous sommes revenus au Moyen Age, c'est la guerre de 100 ans qui commence, alors on n'est pas près de se revoir mon vieux.
Ne m'envoie plus rien, j'ai tout ce qu'il faut, tu ne te doutes pas que je gagne maintenant 1,72 francs par jour.
31 janvier 1915 :
Nous sommes dans un patelin où les marmites tombent toute la journée, nous avons la neige.
Tu as du apprendre que Lafont était évacué pour pieds gelés, si sa femme ne le sait pas ne lui en parle pas.
4 février 1915 :
Toujours la même vie, aujourd'hui il fait un soleil de printemps.
22 Fevrier 2015: le drame .... JB FARISSIER est tué au Bois Bolante ( MEuse)
Sur le front le 28 février 1915. Lettre posthume du Capitaine PANNETIER à la pauvre mere du soldat
Ma lettre va vous causer un immense chagrin................
Le 22 février vers 4 h du matin un éclat lui fendit la tempe gauche, il s'abattit comme une masse sans avoir eu le temps de parler ni
de souffrir ….............
Le lendemain je le fis enterré dans un petit cimetière ….......
Je profite de cette douloureuse expérience pour vous dire Madame tout le bien que je pensais de votre Garçon, je l'affectionnais pour ces grandes
qualités de cœur, c'était la bonté même au caractère toujours égal et charmant................
Ce jour là les allemands ont payé cher leur tentative de sortie, mais je prends l'engagement que je vengerais la mort de votre fils avec mes hommes..............
Capitaine PANNETIER
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Ces lettres ont été remises par ses petits neveux Daniel et Suzanne FARISSIER aux Archives Départementales de la Loire le 13 novembre 2013 pour alimenter la « Grande Collecte » du centenaire de la guerre de 14-18