Bonjour,
Je vous présente aujourd´hui un intéressant lot de deux coiffes "dunkelblau" sortant, une fois n´est pas coutume, du sentier battu des casques à pointe.
Elles proviennent toutes les deux d´un même vide-maison du nord de l´Allemagne datant de mai 2023, ont le même tour de tête et sont toutes les deux dans un remarquable état de fraîcheur, ne présentant même pas un seul petit trou de mite. Le contexte de trouvaille ne fait pratiquement aucun doute qu´elles coiffèrent la tête du même homme.
Le Krätzchen (bonnet de police) de fabrication tardive (réceptionné au BA.X. en 1914) est 100% réglementairement régimenté au III/JR92 qui était le Leib Bataillon de ce régiment (bataillon du corps). Il n´a apparemment été que très peu porté. Les cocardes de type troupe sont cousues comme il se doit avec du fil de couleur bleu pour la cocarde brunswickoise et du fil rouge pour celle du Reich. De même, derrière chaque cocarde est cousu un petit bout d´étoffe de la même couleur. La Totenkopf est fixé au tissu par deux languettes bien pliées d´origine. Elle se distingue par une particularité à ma connaissance encore jamais rencontrée: là aussi, un petit bout de tissu rouge a été cousu derrière la TK ce qui lui fait "voir rouge". En allemand, "rot sehen" est le synonyme de "devenir furieux, ne connaître aucune pitié".
L´intérieur de la Mütze d´Eigentum (achat privé), contrairement au tissu intérieur du Krätzchen, montre une usure témoignant d´un port long et intensif avec des tâches de sueur très importantes. Le porteur y a inscrit par deux fois son patronyme "Meyer II", une fois sur la toile intérieure et une seconde fois, de facon plus complète dans la visière: "
Meyer II, 11. Komp. Inf. Rgt. N°92, Braunschweig".Ceci représente une excellente base de recherches et va nous permettre de retracer les grands traits de la carrière militaire de cet homme qui était lui même originaire de Brunswick. Par ailleurs, cette appartenance à la 11ème Cie est parfaitement cohérente avec le tampon du IIIB du Krätzchen.
Cette Mütze d´Eigentum arbore encore un très beau signet du fabricant de casquettes militaires Clemens Wagner qui avait également aussi son commerce à Brunswick, à la Wilhelmstr. 1 et qui continua à fabriquer plus tard des casquettes militaires pour la Wehrmacht. On retrouve l´adresse de son commerce dans les annuaires de l´époque (ci-dessous, dans l´Adressenbuch de Braunschweig pour l´année 1908). Sur le bandeau de sudation en cuir a été appliquée en relief la dénomination de qualité supérieure "Real Russia Leather".
Un bref coup d´oeil dans les Verlustlisten nous donnent trois mentions de blessures pour un Meyer II à la 11/JR92. C´est le seul Meyer II qui se trouve dans cette compagnie. Il porte le prénom Wilhelm et est originaire de la ville même de Brunswick.
La mention de sa toute première blessure (grave) s´étant produite le 16.1.15, nous informe que cet homme n´avait encore jamais fait son service militaire d´active avant la mobilisation car il porte la dénomination de "Ersatz-Reservist".
https://des.genealogy.net/search/show/1370192On peut donc en déduire qu´il fut vraisemblablement appelé dans un Rekruten Depot de Brunswick pour être ensuite muté à l´Ersatz Bataillon du JR92 vers août-septembre 1914. La période de formation pour ces recrues d´Ersatz durait en moyenne 3 mois. Wilhelm Meyer II se retrouva donc au front au sein de la 11/JR92 vers novembre décembre 1914, ce qui est cohérent avec cette première blessure de janvier 1915. Les deux coiffes ne lui furent certainement pas encore attribuées pendant cette première période à l´Ersatz-Bataillon. Lorsqu´il parti ensuite en campagne, il fut très certainement équipé en feldgrau.
L´historique du JR92 nous apprend que ce régiment se trouvait depuis la fin du mois d´octobre 1914 dans le secteur de Berry au Bac, secteur relativement calme au tournant des années 1914-15. Mais à partir du 2 janvier 1915, l´artillerie francaise commenca à développer une activité très intensifiée, en bombardant plus particulièrement le Château de Condé, jusque là encore épargné, mais égalements les positions du JR92 dans les carrières. Wilhelm Meyer II et ses deux camarades de la 11ème Cie durent être blessés lors de l´un de ces bombardements.
Après environ 3 mois de séjour dans un ou plusieurs Lazaretts et de convalescence, il retourna à l´Ersatz-Bataillon du JR92 duquel il repartit vers avril-mai 1915 vers sa compagnie de souche, la 11/JR92, qui se trouvait entre temps à l´est de la Pologne, sur la rive ouest du fleuve San, en face de la localité de Wiazownica, à environ une quarantaine de kilomètres de la frontière ukrainienne. Le 17 mai 1915, la 11/JR92 fut la première compagnie du JR92 à prendre pied sur la rive est du fleuve, après un long et violent combat et de nombreuses pertes.
La seconde mention des VL nous informe que Wilhelm Meyer II fut blessé une seconde fois grièvement lors de ces journées de mai 1915:
https://des.genealogy.net/search/show/2171506En mettant en parallèle les pertes en morts de la 11/JR92 mentionnées dans la publication supra des VL avec la liste ci-dessous de l´Ehrentafel en fin d´historique qui répertorie les décès par ordre strictement chronologique,
on en déduit que W. Meyer II fut très vraisemblablement blessé le 24.5.15 lors d´une attaque bordant le flanc gauche du JR77 et ayant comme objectif le village de Buczyna solidement occupé par les Russes.
En effet, l´Ersatz Reservist Otto Weidemeyer (tué le 19.5.15), l´Ersatz Reservist Hermann Lüders d´abord mentionné comme légèrement blessé (mais décédé deux jours plus tard de ses blessures le 21.5.15) et le Musketier Willi Kosmale (tué le 20.5.15) sont mentionnés comme tous les 3 tués sur la rive est du San, 2-3 jours après la traversée du fleuve.
Le Musketier Heinrich Halbe et le Kriegsfreiwilliger Otto Henning sont tués le 24.5.15 à Buczyna, village situé à 8 km au nord-est du fleuve San.
Seul le Kriegsfreiwiliger Otto Bersiek sera tué le 27.5.15 plus à l´est, à Chodanie, lorsqu´une section de la 11/JR92 se porta à l´aide de l´aile gauche du JR77 pour y rejeter les Russes qui s´y étaient infiltrés, en faisant 32 prisonniers. Il est également possible que Wilhelm Meyer II fit partie de cette section et qu´il fut blessé lors de ce coup de main.
Cinq mois plus tard, après la convalescence de sa seconde blessure sérieuse, on retrouve une troisième fois Wilhelm Meyer II dans une publication des VL mentionnant les pertes de la 11/JR92 pour les journées du 29.9 au 4.10.15, 90% des pertes mentionnées s´étant produites pendant la seule journée du 29 septembre. Il y est mentionné comme 3ème fois blessé, cette fois légèrement.
https://des.genealogy.net/search/show/3421050Le JR92 se trouvait à ce moment en plein dans la tourmente de l´offensive francaise de Champagne, au nord de la Main de Massiges, à Somme-Py. Il y avait été jeté après seulement 8 jours de repos à Anvers. En effet, le JR92 avait quitté le front de l´est le 15.9.15 et avait été débarqué à Anvers après 3 jours de voyage en chemin de fer. Il avait été prévu que la troupe harassée par la campagne de Russie puisse bénéficier d´un répit de 4 semaines. Les nouvelles recrues d´Ersatz devant combler les pertes du régiment auraient également du y subir une période de formation.
Il en fut tout autre et le 26.9.15 le JR92 fut acheminé en toute urgence en Champagne où il s´installa dans les tranchées de première ligne le 28 septembre, à la lisière ouest de la Ferme Navarin. Le jour suivant, ses compagnies subirent le choc d´une violente attaque francaise causant de très grosses pertes au JR92.
Après cette troisième et dernière blessure, Wilhelm Meyer II fut vraisemblablement déclaré comme inapte au service en campagne et perdura très vraisemblablement dès fin 1915 à l´Ersatz-Bataillon du JR92 à Brunswick, au sein duquel il percu dans un premier temps ce qu´il restait encore comme garnitures disponibles de l´équipement "dunkelblau" d´avant guerre, dont ce Krätzchen de fabrication tardive.
En effet, de nombreuses photos d´époque datées montrant des recrues d´EB témoignent de ce port encore très fréquent des uniformes d´avant guerre, et ceci jusque vers le tournant des années 1916-17, les garnitures feldgrau étant réservées aux recrues partant pour le front. Cet état de fait est d´ailleurs souvent évoqué dans certains historiques de régiments, comme par exemple celui du LGR109 en page 1071:
"
Bien trop rapidement, l'uniformité de l´équipement des sous-officiers et hommes de troupe, autrefois si soigneusement entretenue, fut la victime du temps de guerre. Au début, les uniformes "dunkelblau" du temps de paix étaient encore disponibles en quantité suffisante pour un port en garnison ce qui ne fut bientôt plus le cas. Ainsi, des panachages les plus insolites mixant la couleurs bleue et la couleur feldgrau virent bientôt le jour. L´image d´un grenadier portant un pantalon noir, revêtu d´une tunique feldgrau et coiffé d´une Mütze bleue d´avant guerre n´aurait jamais été concevable en temps de paix."
Il est fort probable que du fait de son expérience acquise au front, Wilhelm Meyer II fut rapidement promu Gefreiter ou Unteroffizier et fut chargé, jusqu´à la fin du conflit, de la formation des nouvelles recrues à l´EB du JR92.
Ceci pourrait expliquer l´acquisition de sa Mütze d´Eigentum auprès d´un fabricant à la fois proche de son domicile et de sa garnison, destinée à le différencier des hommes du rang dont il avait la charge, cette nette différenciation étant visible sur de nombreux clichés d´époque. Ceci expliquerait non seulement le port très modéré car provisoire de son bonnet de police ainsi que l´usure bien plus importante de sa casquette de sous-officier, les deux coiffes étant ensuite restées en sa possession du fait de son statut privilégié, mais surtout aussi le fait que ces deux objets perdurèrent encore très longtemps ensemble, stockés très soigneusement dans la famille du porteur, bien au delà du premier conflit.