Voici un casque provenant d’un grand collectionneur, alias la collection Baldwin. Il est intéressant de voir que ces pièces, parfois achetées à prix d’or lors de ces ventes du siècle, ne restent pas toujours très longtemps chez leur premier acquéreur. Nombre de pièces de la vente Dekerle de 2017 sont déjà repassées à la vente par exemple.
Cet ensemble improbable est totalement authentique. Ici le CC était littéralement en partie collé sur le casque.
Alors que M. Baldwin considérait comme peu réaliste de décoller le CC du casque (l'étiquette de la vente C and T porte encore la mise en garde),
la manœuvre partielle a finalement été possible sans dégât majeur. Le décollement en douceur du CC depuis la nuquière a permis de découvrir le casque lui-même. Ce dernier comporte une embase en pointe, et non en trèfle, ce cas existe sur des mod 15 hessois, la boule reste prisonnière du CC. La plaque hessoise colle parfaitement à la bombe.
Le jonc arrière est bien celui d’un artilleur.
Le CC est resté en place légèrement décalé par rapport à sa bonne position et les cocardes y ont laissé leur trace dans cette position du CC. Les deux sont de types hessoise mais, outre l’impression dans le CC, ces cocardes sont également imprimées dans le cuir du casque.
Ces éléments confirment que ces deux cocardes sont en place depuis très longtemps et certainement d’origine si on les met en parallèle avec une autre étrangeté de ce casque.
La plaque est bien celle du casque, elle s’est aussi imprimée dans la bombe mais elle est en effet fixée par un système totalement atypique. Il s’agit de deux vis positionnées l’une au-dessus de l’autre au centre de la plaque avec un léger décalage horizontale dans leur position. Les écrous qui les fixent sont eux aussi d’un type non usité sur les plaques de casques à pointe.
Ils se rapprochent de ceux utilisés sur les casques de chevau-légers bavarois M86/16… Le plus surprenant est que la bombe semble avoir été fabriquée dès le départ pour ce type de fixation car il n’y a aucune trace de la présence d’autres œillets, notamment aux emplacements classiques. Seule ce type de plaque peut se monter sur cette bombe !
Grâce aux précieuses infos fournies par Clovis que je remercie, il est possible de comprendre pourquoi ce casque hessois possède un tel type de fixation. Tout d’abord, ce type de fixation se retrouve sur les casques hessois, c'était un système hessois sur le modèle 1860. Des plaques officier modèle 1871 ou 1914 l’ont conservé, à la différence de la troupe qui a été équipée des plaques classiques à pontet. Ce procédé a donc été réactivé pour la production d’un petit lot d'un modèle d’essai expérimenté spécifiquement pour adapter la plaque mod 15 hessoise à ce type de fixation. En effet, Clovis a dans ses archives un autre casque mod 15 d’artilleur équipé de la même fixation. Cela pourrait être un essai, sans suite, en vue de permettre d’équiper les plaques troupes du FAR 25 de l’étoile de l’ordre de Louis avec glaives, qui a été décernée le 6 avril 1915 au FAR 25 en l’honneur du 125ème anniversaire de sa création. L'étoile alourdissait en effet la plaque et des fixations classiques auraient pu entrainer l'arrachage des lauriers de la tête du lion, Clovis m'a montré moultes exemples de fixations différentes des pontets pour éviter ces dégâts ainsi que des exemples de lauriers arrachés. D'autant que les plaques 15 devaient être plus fragiles. Comme Larcade le stipule, seuls les officiers se verront finalement équipés de ces nouvelles plaques à étoile et pas la troupe. C’est en tous cas la piste la plus sérieuse pour expliquer ce système de fixation.
Le couvre-casque porte les mêmes marquages que le casque : FAR 61.
Il est intéressant de noter que le casque est un mod 15 à boule amovible et le CC un mod 97 sans possibilité d’enlever la couvre-boule. De même, le CC possède l’ouverture pour l’aérateur de jonc alors que le casque n’en est pas équipé. Cela s’est déjà vu et est cohérent avec les nécessités d’équiper au mieux les hommes avec le matériel disponible, mixant les stocks de mod 95/97 récupérés sur les blessés ou encore sortis des usines de fabrication même en 1915 et les nouveaux modèles 15 produits. Ici le casque date de 1916 (date de fabricant et réception sous le cachet du FAR 61) et le CC du 1915.
Le casque est nominatif, on retrouve inscrit à deux endroits différents, Seipel 3/61.
Ce nom permet de lever, une partie seulement, du voile sur son histoire.
Tout d’abord, sur des ensembles cohérents casque CC parvenus jusqu’à nous, il n'y a que deux hypothèses :
- soit l'ensemble a été remis aux Kammer lors de la perception du Stahlhelm, mais c'est plutôt l'exception et dans ce cas la jug ne serait pas en position de combat
- soit le porteur a perdu son casque au combat
Ici, la pointe démontée, mal remontée va aussi dans le sens d'un trophée.
L’exploitation des VL ne montre d’abord aucun Seipel au FAR 61. Il existe par contre une mention d’un Seipel au FAR 111.
http://des.genealogy.net/search/show/4044700Or en consultant l’historique de cette unité, elle n'est certes pas hessoise mais constituée en mars 1915 à partir de différents autres FAR. Chaque nouvelle batterie du FAR111 étant constitué par un FAR spécifique. Or la 2/FAR111, dans laquelle Seipel est lors de sa grave blessure, est constituée à partir d'éléments du FAR 61, régiment hessois.
Le casque datant de 1916, il est à supposer que Seipel a rejoint le FAR111 au cours de 1916. Je ne maîtrise pas assez les dépôts de ces unités de FAR créés pendant la guerre, mais je suppose que les régiments mère de chacune des nouvelles batteries continuaient à les approvisionner en hommes et matériels. Autre hypothèse, Seipel était Vize-Wachtmeister, équivalent de maréchal des logis chef ou vice-adjudant, soit un gradé élevé. Il a pu être muté du FAR 61 au FAR 111 suite à un besoin d’encadrement. Dans tous les cas, c’est le FAR 61 qui l’a équipé avec du matériel déjà régimenté au FAR 61, soit neuf comme son casque, soit réutilisé comme le CC qui date de 1915.
Son unique mention dans les VL l’indique comme gravement blessé mi/fin juin 1916. Le FAR 111 est à ce moment à Verdun. Le FAR 111 a été créé en mars 1915 pour former avec le FAR 112 l’artillerie divisionnaire de la nouvelle 56. Division. De fin novembre 1915 à avril 1916, le FAR 111 a combattu en Champagne avant d’être relevé et de bénéficier d’1 mois de repos à Sedan du 25 avril au 24 mai 1916. Le 25 mai, le FAR 111 part sur Verdun pour occuper des positions au nord du secteur Mort-Homme Côte 304. La 56 Div doit relever les 43. RD et une partie de la 44 RD. Du 31 mai au 2 juin, les batteries du I/FAR111 s’installent, la 2/FAR111 relève une des batteries du Reserve FAR 43. La position dans laquelle s’installe Seipel et ses hommes se trouve sur la lisière sud du Bois des Forges, au nord de Forges-Bethincourt, en arrière du ruisseau de Forge. (position entourée en rouge sur la carte ci-dessous)
Les positions occupées sont considérées comme insuffisamment aménagées par les prédécesseurs. Les positions de repos sont à Villosnes. Les batteries du II/FAR111 doivent par contre attendre l’aménagement de nouvelles positions au sud du ruisseau.
Les premiers tirs des pièces de la 2/FAR 111 ont lieu les 1er et 2 juin sur des positions françaises dans le secteur de Chattancourt/Esnes. Du 3 au 14 juin, les batteries ont une activité soutenue, près de 1000 tirs par jour contre des positions, des concentrations ou des travaux ennemis dans le secteur Chattancourt/Esnes. De même, l’activité de l’artillerie ennemie est permanente, le secteur des batteries du FAR 111 est constamment bombardé. Dès que le ciel s’éclaircit, des avions de reconnaissance ennemis apparaissent. L’atmosphère est souvent saturée de gaz toxique.
Le 15 juin, dans le cadre de la couverture d’une attaque française, l’artillerie ennemie se déchaine contre les batteries du I/FAR111, essayant de saturer le secteur du ruisseau de Forges. Par exemple, la batterie voisine de celle de Seipel, la 1/FAR111, reçoit près de 1200 coups. Les 3 batteries du I/FAR111 tirent la totalité des munitions disponibles. Les colonnes de munitions prennent tous les risques pour alimenter les batteries, car elles savent que le temps clair permet à l’ennemi de les repérer. Celui-ci en profite et réussit à mettre un coup au but sur la 1/FAR111 au moment où la colonne de munition repart. Le chef de la 1/FAR111, l’Oberlt d. R Oswald est tué sur le coup, son adjoint grièvement blessé. Ces deux noms apparaissent dans la même VL que Seipel.
Le 16 juin, les batteries du II/FAR111 peuvent enfin être installées dans leurs nouvelles positions au sud du ruisseau de Forges.
Les positions du FAR 111 font l’objet de bombardements quasi-continus, y compris avec des obus à gaz au chlore. Des escadrilles ennemis survolent régulièrement les batteries, l’artillerie ennemi tente d’interdire toute communication vers l’arrière pour les batteries du FAR 111 en saturant le secteur de Gercourt, au sud de Villosnes. L’ennemi vise particulièrement les batteries du FAR 111 qui sont survolées et même parfois attaquées par de nombreux avions français.
Ces repérages aériens expliquent peut-être en partie que le 21 juin 1916, un coup au but arrive sur un abri de la 2/FAR111 de Seipel. Les sorties de l’abri s’écroulent, prenant au piège les hommes qui s’y étaient abrités. Les opérations de secour semblent avoir été au moins en partie vaines puisque l’historique indique que 5 de ces hommes ne peuvent être secourus et connaissent, pour ceux qui n’ont pas été tués par l’écroulement partiel de l’abri, l’horrible mort par asphyxie : le chef direct de Seipel, le Vizewachtm Dresemann, et 4 camarades, l’Utffz Tauscher, les Kan. Urlauf, Hohn et Wolf. Seipel et un autre homme (Siebert) sont indiqués comme gravement blessés dans la même VL annonçant la mort des 5 hommes.
Seipel a-t-il échappé à l'enfouissement ? A-t-il pu être récupéré et pas ses camarades. Mais dans les deux cas, cela n'explique pas comment son casque serait tombé aux mains ennemies de suite car le plan très précis de l'emplacement des batteries dans l’historique montre que la 2/111 est à 1,5 km des lignes ennemies et les Français ne reconquièrent pas ce secteur avant août 1917.
Il est en tous cas fort probable que les hommes pris au piège dans l’abri n’ont pas pu être dégagés à temps par leurs camarade. L’opération était très risquée car les bombardements continuent de manière violentes jusqu’au 2 juillet. Au-delà du temps raisonnable estimé de leur survie possible dans l’abri effondré, il a dû être décidé de les laisser dans ce qui était devenu leur tombeau. D'ailleurs la position de la 2/FAR111 est déplacée vers l'ouest après le 21 juin, confirmant que la position est inutilisable ou intenable.
En effet, lors qu’on analyse les pertes de la 2/FAR111 en fin d´historique, on observe que la plupart des artilleurs de cette batterie morts au combat ont en grande majorité un numéro de tombe et un nom de cimetière mentionné. Les morts de l'incident du 21.6.16 n´ont pas cette particularité. Si les morts avaient été extraits, leurs camarades ne les auraient pas laisser sur place mais les auraient évacuer vers l’arrière, comme ce fut le cas de l’Oberlt Oswald. Tué le 15 juin, ses hommes l’avaient emmené vers l’arrière dès la première accalmie de l’artillerie ennemie, soit 2 jours après, pour qu’il puisse être inhumé dignement au cimetière militaire allemande de Dannevoux. Il est donc vraisemblable que les hommes de l’abri soient restés dedans. À la mi-juillet, le FAR111 quitte ce secteur définitivement, cela laissait presque 1 mois pour déplacer les corps s'ils avaient été sortis de l'abri.
Lorsque les Français arrivent en 1917, ces casques, ou celui de Seipel, semblent avoir été récupérés. L´état très jus du casque pourrait peut-être justifier un séjour de plusieurs mois sur le terrain (ou dans l’abri) avant d´ être récupéré.
Le voile ne se lève donc pas totalement sur la fin de l’histoire de ce casque. On ne pourra pas le prouver mais je pense que ce casque hessois est resté dans la sape effondrée avec les corps des camarades de Seipel. Sape ou secteur que les Français ont pu inspecter calmement lors de la reprise du secteur. N'étant pas sur un cadavre décomposé, il a dû attirer l'attention des Français. J'imagine pour ma part que Seipel a réussi à sortir, soit de lui-même à toute vitesse, soit sauvé par ses camarades car proche des entrées, en n'ayant pas le temps de reprendre son casque qu'il avait dû poser dans l'abri. Possible aussi que les bombardements de l'été 1917 pour la prise de ce secteur par les Français aient rouvert partiellement la sape. Une autre hypothèse est que les Hessois aient signalés l'existence de cette tombe par des croix avec des casques posés dessus. Mais il est peu probable que ces sépultures provisoires aient alors survécus à des semaines de nouveaux bombardements.
En tous cas, Seipel est gravement blessé et ne semble pas revenir au front.