Bonjour,
et pour conclure, et pour comprendre cet engouement pour les bataillons scolaires au début des années 1880, voici leur histoire dans le Toulois.
Toul, un des trois évêchés de Lorraine du Moyen-Age, était une cité proche de la frontière allemande durant l'annexion. La place forte de Toul, constituée de plusieurs forts Serré de Rivière, formant la place fortifiée de Toul, bastion qui faisait face aux positions sud de la Moselstellung allemande, les forts du sud de Metz qui verrouillaient ce côté de l'accès vers Metz.
Les bataillons scolaires dans le Toulois
Le premier bataillon scolaire de l’arrondissement de Toul est créé à Barisey la Côte en janvier 1882. Le conseil municipal vota ce mois-là la somme nécessaire à l’achat de 12 fusils, auxquels s’ajoutèrent 4 armes offertes par le maire, l’instituteur et 2 propriétaires. En outre, la commune acquit une carabine avec laquelle les jeunes élèves soldats s’entraînaient au tir.
Après avoir vu celui de Barisey, en juillet 1882, M. Didelot, maire de Mont le Vignoble, vigneron en activité, propose à ses concitoyens de former un bataillon scolaire. Lors de la séance du conseil municipal du 15 août 1882, une demande de secours est faite pour l’habillement et l’équipement du bataillon scolaire. La délibération indique « Il sera pourvu au moyen des ressources communales aux frais de l’habillement et de l’équipement du bataillon scolaire de Mt le Vignoble. L’uniforme sera composé d’une blouse, d’un képi et d’une cravate. L’équipement comprendra un fusil scolaire, un sac et un ceinturon. La dépense totale devant s’élever à 612 F. Le conseil municipal demande à l’Etat un secours de 400 F pour aider la commune à l’acquitter de cette dépense, vu sa situation financière et ses impositions extraordinaires ».
Le bataillon réunit 32 enfants, dont 12 de 8 à 12 ans et 20 de 12 à 20 ans. Les parents achètent à leurs frais la blouse et le képi qui coûtaient 5 francs. La commune se chargea des fusils, sacs, ceinturons, cravates. Le maire acheta 20 fusils à9 francs l’un chez l’armurier Chevillot à Remiremont, inventeur d’un petit fusil scolaire accepté par l’Etat, et 12 fusils plus petits à 4 francs dans un bazar de Toul.4Le bataillon de Mont sous la conduite d’Arsène Durand, instructeur a commencé ses premiers exercices en septembre , assisté d’un sous officier rentré dans ses foyers et avec l’aide d’un garde-champêtre, Louis Victor. Les exercices avaient lieu tous les dimanches. Des promenades militaires ont eu lieu dans les villages du secteur. A Gye, un bataillon est créé « Nous avons aussi un râtelier d’armes et un clairon, précisait le maire, et nous avons un caporal du fort qui donne des leçons »
A Mont le Vignoble, les activités du dimanche sont dès septembre 1882 mise en rangs, maniement du fusil scolaire, défiler dans les rues du village, précédant des promenades militaires dans les communes voisines. Le bataillon avait reçu son drapeau le 3 septembre 1882.
L’obtention du drapeau était ressentie par les municipalités comme la récompense de leur engagement républicain, une attestation officielle du patriotisme du conseil municipal. En juillet 1884 on lui adjoint une musique. Ce qui en fait « le plus complet des bataillons » et il est même qualifié de « fort remarquable » par ses opposants Dans le Toulois, le 14 juillet 1882, l’administration remet des drapeaux scolaires aux 39 cantons où des bataillons sont déjà formés. Parmi les récipiendaires, on note le canton de Toul sud. Allain aux Bœufs vote 50 F pour indemniser le maître de gymnastique, Bagneux vote l’acquisition de 12 fusils scolaires, Boucq 180 F pour un gymnase, Foug 15 fusils pour 212 F, Pierre lès Toul 55 F au sous officier en retraite qui donne les leçons.
De nombreuses petites communes, dans l’incapacité de réunir le nombre minimum d’enfants requis pour constituer un bataillon respectant le décret du 6 juillet 1882 (200 à 600 élèves, âgés de douze ans et au-dessus, soit quatre compagnies de cinquante garçons chacune), ne tinrent pas compte de la loi et sous l'élan patriotique qui motivait toutes leurs actions, constituèrent tout de même leur mini-bataillons. D’autant que c’était très souvent les parents qui faisaient des sacrifices importants pour équiper leurs enfants.
Avec les productions artisanales, l’acquisition de fusils scolaires devenait plus abordable et on pouvait trouver des fusils pour 12 à 15 francs, et même certains très simples tout en bois pour 3 à 7 francs.
Lors de la réunion pour la création d’un sous-comité de la Ligue des Patriotes en mai 1883 à Toul, le bataillon scolaire de Mont le Vignoble est sollicité, un incident marque cette journée : Le bataillon invité à participer à cette réunion a été empêché par le général gouverneur de pénétrer en ville en armes. Les enfants durent laisser leurs fusils en faisceaux à Saint Evre. L’armée était réticente, elle mettait des bâtons dans les roues, et s’employait à freiner les élans du petit peuple « qui y croyait ».
A Vannes, Crépey, Aingeray, Allamps, des crédits sont votés pour l’équipement du bataillon scolaire. Pour le 14 juillet 1883, Allamps inaugure le buste de la République, don du maire, en présence du bataillon scolaire qui avait pris le nom de « Les chasseurs du qui-vive » en référence de la devise de la Ligue des Patriotes. A Allain et Bagneux, on commémore la fête nationale en présence du bataillon scolaire.
Les fêtes d’alors, et en particulier du 14 juillet, étaient célébrées avec une ferveur et un éclat qui ont totalement disparu de nos jours.
Quant à Toul, les choses vont moins vite. Le bataillon est seulement organisé le 27 juin 1885 et comprend 52 enfants et deux clairons, offerts depuis 1883 par la Ligue. Le 14 juillet 1885 le bataillon est remarqué et applaudi…
La disparition des bataillons dans le Toulois.
Les bataillons furent supprimés dans le Toulois comme dans le reste de la France, sous les pressions multiples des oppositions, et suite à la crise du boulangisme qui tempèrera les ardeurs belliqueuses des laïcs et avec la montée du socialisme pacifiste.
A Toul, la rupture survint après la dissolution du groupe toulois de la Ligue des Patriotes, son comité ayant démissionné à l’assemblée générale du 8 juillet 1888, suivant en cela les événements parisiens. Après cette date, l’ardeur des patriotes se reportera vers la constitution des sociétés de tir et de gymnastique (12 sociétés de sport, tir ou gymnastique verront le jour à Toul entre 1888 et 1911).
L’éditorial du millième numéro de l’Echo du Toulois annonce la fin des bataillons scolaires, le 19 juillet 1891, Edmond Larcher, sous le titre « Instruction Patriotique », indique après avoir reproché aux élus de la capitale la création des premiers bataillons scolaires en 188, de mettre fin à l’expérience en demandant que l’on institue dans toutes les écoles communales le tir à la carabine Flobert…
« Les Français tirent mal…Constate t-il. Partout j’ai rencontré les bataillons scolaires marchant gaiement au soleil de messidor. Paris qui les avait créés vient d’abolir ces régiments lilliputiens qui faisaient la fierté et à qui, comble de gloire, avait été confiée la garde des cendres de Victor Hugo…L’exercice, la marche, les parades, c’est bien, mais ce qui est préférable encore et de beaucoup à tout cela, ce sont ces belles sociétés de gymnastique qui s’organisent un peu partout et qui, en certains endroits, ont même tout à fait remplacé et avec avantage la manœuvre de l’inoffensif fusil. »
Tout était dit, Cet article d l’Echo Toulois marque la fin des bataillons scolaires…
Malgré la suppression officielle des bataillons par le ministère, on continua la pratique de la manoeuvre, en plus du calcul, des dictées, de la lecture et des récitations. Il s'agissait de bien apprendre aux enfants les rudiments du maniement des armes, conduisant à la militarisation de la jeunesse.
Cordialement.
P. Lamy