Bonsoir,
Le "beau" temps de ces derniers jours m'a permis de lire en détail l'excellent livre de Mrs Maucolot, Lejaille et Labrude "La guerre des gaz"-éditions du Brevail-paru juillet 2021 et dont il a déjà été question sur ce Forum.
Parmi les "énigmes" de cette guerre des gaz (énigmes qui ne manquent pas!), l'utilisation des premiers obus spéciaux français chargés en phosgène ou "collongite" (obus n° 5) demeure un point discuté.
Les auteurs rappellent fort justement que nombre d'auteurs et de "sites" avancent (sans preuve!) la date de février 1916 à Verdun comme premier emploi de ces obus chargés en toxique véritablement létal, ce qui n'était pas le cas des obus spéciaux tirés auparavant (comme les inefficaces obus tirés dès juillet 1915 et surtout lors de l'offensive de Champagne en septembre 1915).
Le livre précité contient deux points méritant un commentaire:
-1-page 143: "Les premiers tirs des obus n° 5 sont souvent fixés au 21 février 1916. Il semble néanmoins qu'ils aient eu lieu bien avant".
-2-même page: "Un document français nous enseigne qu'un tir de 2800 projectiles, effectué par l'A.D. 66 les 22, 28 et 29 novembre 1915, par un groupe de 75, a donné comme résultat le déménagement des batteries ennemies...".
Grâce aux archives du général Verguin (alors chef d'escadron) qu'un descendant du général m'a données, je peux préciser ces points relatifs à la guerre des gaz. Le chef d'escadron Verguin est alors commandant du groupement d'artillerie chargé d'appuyer la 81e brigade et la 6e brigade de Chasseurs lors de l'attaque de l'Hartmannsweilerkopf du 21 décembre 1915. Cet officier est de surcroît très proche du général Serret depuis l'attaque d'avril 1915 sur le HWK où la préparation d'artillerie a été magistrale aux yeux de l'état-major et des Chasseurs.
Je précise donc les points cités:
-le point 2 s'appuie sur la publication du Ministère de l'Armement "Conférences sur les projectiles spéciaux" datant de 1917. Le problème est que si les faits relatés sont exacts dans l'ensemble, les dates sont erronées, il faut lire "22, 28 et 29 décembre 1915" et non "novembre". Les dates exactes sont d'ailleurs "21, 28 et 29 décembre 1915".
-le point 1 est le plus important, oui, l'emploi des premiers obus n° 5 chargés en phosgène est bien antérieur à février 1916, il est du 21 décembre 1915 précisément.
Je résume les principales phases de cet emploi:
-le 12 décembre 1915, un ordre du général Serret prescrit que les batteries de 75 Hubert et Zimberlin recevront une "mission spéciale".
-les 18 et 19 décembre 1915, les ordres sont plus précis, je résume:
...2 batteries de 75 du groupement Verguin tireront des projectiles spéciaux dans la région de la "cuisse gauche" dite "nid à boches".
...2 batteries de 75 du groupement Roche des obus spéciaux au N et au N-O de Wattwiller, sur la tranchée des Vignes, et les boyaux N et S.
...1 batterie de 120 L, 2 batteries de 75, 1 section de 75 modèle 1912 de cavalerie de la RFB effectueront de la contrebatterie vers Lützelhof et Nonnenbruch au moyen d'obus spéciaux.
Contre le "nid à boches" 2000 obus spéciaux, essentiellement n° 5 (phosgène) mais aussi n° 2 et 3 (incendiaires) sont tirés de 09h15 à 11h45, deux heures avant l'assaut à la cadence de 10 coups par minute. D'abord 10 coups par minute pendant 10 minutes par toutes les pièces de la batterie puis par section à 10 coups par minute avec changement de section toutes les 5 mn. Cette cadence épuise rapidement les servants et le tir sera au bout d'une demi-heure effectué à la cadence moyenne de 8 coups par mn.
Les résultats:
-l'ennemi évacue précipitamment toute sa première ligne et le secteur où la nappe eu a son effet maximum (carré de 200 m sur 200 m). Les occupants des tranchées et abris n'ayant pas mis leur équipement de protection sont morts asphyxiés. Parmi les prisonniers, il y a des intoxiqués dont certains meurent en revenant dans les lignes françaises.
-toutes les batteries allemandes visées par le tirs toxiques ont été réduites au silence pendant une durée d'au moins 6 heures.
Points remarquables:
-les officiers n'ont reçu aucune table de tir concernant le tir des obus spéciaux. Par prudence, ils ont tiré sur hausse longue leurs premières salves en obus n° 2 (incendiaires) et ce tir est jugé plus court de 50 mètres par rapport au tir par obus explosifs. Ils passent alors au tir à l'obus n° 5 (toxique).
-les obus incendiaires ont été très efficaces et de nombreux cantonnements et abris ont présenté des incendies.
-aucune consigne n'a été reçu par l'artillerie concernant les conditions de stockage des obus toxiques non tirés.
-les caisses, douilles tirées et autres accessoires relatifs au tir des obus spéciaux ont été ramenés au Parc d'artillerie.
-les batteries concernées ont tiré 1500 à 2000 obus spéciaux chacune.
Après la malheureuse suite de l'attaque et de l'anéantissement du 152e R.I le 22 décembre 1915, quelques tirs ponctuels ont été effectués en obus toxiques, essentiellement en contrebatterie.
Au début janvier, en matière d'obus "spéciaux" il restait à tirer environ aux batteries de la RFB en action sur la plaine, 350 obus n° 5 de 75, 500 obus Naud de 120 L et 1000 obus de 75 n°2 et 3.
J'espère que ce petit résumé qui s'appuie sur des ordres, calques, cartes et panoramas vous aura intéressé.
J'ai le projet d'écrire un article sur le rôle de l'artillerie lors de l'attaque du HWK du 21 décembre 1915. Malheureusement, les photos d'époque sont rares, je ne dispose que de bonnes photos de 65 M, 120 L et 370 Filloux prises avec certitude à cette époque.
Ces points ne sont pas des "détails", il s'agit, le 21 décembre 1915, des premiers tirs d'obus toxiques à effet véritablement létal de la Grande Guerre. Ensuite, des millions d'obus toxiques suivront des deux côtés du front...
Cordialement,
Guy François.
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