Sous-Officier des Tirailleurs Sénégalais vers 1890

Bonjour à tous

Voici une belle et intéressante photo vue sur un site de vente. Le lieu de prise de vue serait Tripoli en Libye.  
Il se pourrait que ce soit un sergent-major de TS, ordonnance d'un officier (celui que l'on voit ou, peut-être, celui qui fait la photo).
J'ai besoin de votre avis sur la datation.
Le casque sans attribut de l'officier me semble être du modèle 1878.
La grande tenue à l'orientale est supprimée le 5 juin 1889 pour les TS mais maintenue pour les officiers indigènes.
Le décret du 22 novembre 1879 indique que le nombre des chevrons d'ancienneté est réduit de 3 à 2 mais que les militaires qui seraient actuellement en possession d'un troisième chevron continueront à porter cet insigne.
Ce sergent-major aurait donc eu au moins 15 ans d'ancienneté en 1879.
Il me semble assez âgé pour un militaire. On pourrait donc être 10 à 15 ans plus tard, c'est à dire au début des années 1890. En tant qu'ordonnance d'un officier, il était peut-être autorisé à porter la grande tenue à l'orientale.
Est-ce que tout ça vous parait cohérent ?


Jean

Bonjour,

Je tombe un peu par hasard sur cette photo.

Elle est à rapprocher de cette CDV que j'ai rentrée il y a quelques années.
Même tenue orientale, même couleur foncée pour les trois pièces principales, même ceinture-écharpe claire, même sabattes aux pieds, avec des bas très clairs et des guêtres sur la partie haute des mollets, présence de chevrons d'ancienneté sur le bras gauche, galon de caporal en laine sur les manches...
Celui de la CDV porte en plus un ceinturon d'infanterie à plaque du modèle 1845, et ce qui me semble bien être une épée-baïonnette Chassepot.
L'homme sur cette vue est noté au verso comme étant un cawas (kawa, kawas, kawasse, ou encore caouas, on trouve de multiples orthographes de ce nom) de l'ambassade de France à Tripoli.
Les cawas étaient des gardes du corps chargés de la protection des ambassadeurs et consuls dans certains pays du Proche et du Moyen Orient (Turquie, Syrie, Libye, Palestine, Égypte, Jordanie...).
Il en existe encore à Jérusalem, mais leur fonction est désormais de précéder les religieux chrétiens lors de leurs déplacements dans la ville.

Pour en revenir à votre photo et à celle que j'ajoute ici, la base du costume est clairement calquée sur la coupe à la turque de celle des zouaves, tirailleurs algériens et tirailleurs sénégalais.
La tenue en diffère pourtant par les couleurs.

S'il s'agissait d'un modèle 1858 de sénégalais, les tresses, soutaches et passepoils se confondraient avec le bleu-nuit du drap de molleton.
A cette époque, la couleur jonquille ressort en noir sur toutes les photos.
Or la teinte quasiment blanche des passementeries exclue une tenue de sénégalais (et on peut affirmer qu'elles n'ont pas été ici repassées à la craie, le dessin en est trop net).

J'ai pensé un temps au réemploi de tenues d'auxiliaires indigènes de la gendarmerie d'Afrique à pied, qui comportent règlementairement des passementeries blanches.
Mais les gilets et les sarouels seraient en ce cas en drap bleu-de-ciel -foncé, de la couleur des spahis algériens, et non bleu-nuit, et les vestes-boléro auraient des fleurons en soutache sur les devants.

L'idée d'utiliser d'anciennes tenues de gardes civils du Dahomey m'a effleuré, car les passementeries vert clair pourraient apparaître presque blanches sur une photo.
Mais ces miliciens avaient une tenue pareille à celle des zouaves, veste-boléro et gilet bleu foncé et sarouel garance, et la différence de ces deux couleurs serait nuancée sur les images.

L'éventualité d'une simple tenue de zouave, bleu-foncé pour le buste avec des passementeries garance ressortant très claires, est à exclure aussi, car en ce cas, le sarouel ressortirait lui aussi très clair.

Bref, je reste sec sur l'origine de cette tenue, mais le fait d'en voir deux semblables portées par deux hommes différents ouvre des perspectives intéressantes.
On peut imaginer une tenue spécifique fabriquée pour les cawas de l'ambassade de France à Tripoli, sur le modèle des tenues orientales propres à l'armée française.
Quand on voit les costumes très riches des cawas de cette époque, dans d'autres pays, (voir sur internet en cherchant image de cawas ou kawas) on ne s'étonnera pas qu'une tenue spéciale ait pu être fabriquée pour deux ou trois gardes.

Bien cordialement
Jean-Marc

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Bonjour
Jean-Marc pour cette belle CDV et la description qui l'accompagne !
Je ne connaissais pas du tout ces gardes du corps.
Cela ouvre des pistes de recherche intéressantes.

Jean

Il y a une autre piste à laquelle je n'ai pas pensé !
Il se peut que ce soit tout bêtement un cawas qui, ancien soldat d'une armée étrangère, porte son ancien uniforme remis au goût du jour.
On ne doit pas perdre de vue que quantité d'uniformes à l'orientale existent dans les armées de l'ancien Empire ottoman à cette époque.
Or la pratique de ces gardes du corps s'est justement généralisée dans les pays sous emprise de la Turquie.
Cette tenue n'est pas sans rappeler certains des uniformes de la marine ou de l'infanterie turque des années 1880-1900, voir de l'armée égyptienne, entre autres...

Quelques exemples ci-dessous :
soldats d'infanterie de la garde et soldat de cavalerie de l'armée turque vers 1900
musique d'un régiment d'infanterie égyptien vers 1880
officier de la marine turque vers 1880/1900

Au fait Jean, vous rappelez-vous sur quel site de vente était cette photo ?

Bonjour

Je ne me souviens plus où j'ai trouvé cette photo.
Personnellement, je resterais sur la première hypothèse, à savoir un uniforme créé pour ces gardes.
Je pense que ce sont des anciens tirailleurs qui ont eu le droit de garder leur grade et leurs chevrons d'ancienneté.

Jean

Oui en effet Jean, je pense aussi à une tenue spécifique.

L'idée d'employer d'anciens tirailleurs sénégalais est accréditée par plusieurs éléments :
- Ces hommes sont déjà avancés en âge, et devaient justifier d'une expérience de militaire pour prétendre occuper un poste de confiance en qualité de garde du corps d'un officiel.
- Ce sont des africains du continent noir, dont les traits physiques diffèrent évidemment de ceux des autochtones libyens.
- La présence de chevrons d'ancienneté montés de cette façon laisse à croire que ce sont d'anciens soldats de l'armée française, attachés spécialement à l'ambassade de France.

Question uniforme, plusieurs éléments militent pour une fabrication spécifique :
- La présence de fleurons en soutache sur la sédria, qui n'existent pas chez les tirailleurs.
- La couleur claire, probablement blanche ou éventuellement bleu-ciel, des tresses, soutaches et passepoils.
- La teinte visiblement identique de la veste-boléro, de la sédria et du sarouel, qu'on peut supposer bleu-foncé.

Je travaille actuellement à la rédaction d'un ouvrage très illustré de photographie de pièces d'époque, de peintures contemporaines et de photos anciennes originales, dont l'ambition est de montrer, en 200 pages environ, un panorama le plus complet possible des différentes tenues à la turque de l'armée française entre 1799 et 1962.
L'idée est de présenter un éventail représentatif des uniformes des différentes unités habillées, un temps au moins, à l'orientale, sous forme de mannequins entiers et détaillés quand la chose est faisable, et au moyen de l'iconographie en l'absence de pièces anciennes.
Je compte y intégrer certains uniformes un peu en marge des grandes unités classiques, appartenant à des unités de courtes existences et de faibles effectifs : auxiliaires indigènes de la gendarmerie d'Afrique 1860-1914, fantassins et cavaliers des compagnies mixtes de Tunisie 1882-1884, tirailleurs et spahis sahariens 1895-1902, cipayes des Indes françaises 1880-1910...
Mais aussi des uniformes orientaux plus anecdotiques et méconnus : chasseurs d'Afrique et artilleurs algériens 1830-1835, gardes civils du Dahomey 1880-1900, et pourquoi pas ces cawas des années 1900 !.
M'autoriseriez-vous le cas échéant à utiliser un bon scan de votre photo en complément de la mienne dans ce livre (sous mention du propriétaire, il va de soi) ?

Bonne journée.
JM

Bonjour

Je ne suis pas un collectionneur. Je ne fais que récupérer pour ma documentation des scans que je vois passer sur divers sites.
Je ne suis donc pas le propriétaire de cette photo.
Voici l'autre scan qui était publié :


Jean

Je n'avais pas compris.
Dommage, je ne me permettrai donc pas de l'utiliser sans avoir l'autorisation du propriétaire.