Bonjour à tous
Ceux qui suivent un peu mes posts depuis quelques années savent que je travaille à l'écriture d'un recueil de lettres de mes aïeux durant la Grande Guerre.
Après plusieurs années, voila mon travail achevé. J'attends la relecture finale pour le partager sur le forum avec tous.
En attendant voici un moment assez fort du recueil puisque, plus de 100 ans après, c'est un mystère qui est élucidé grâce aux lettres de mes aïeux !
Ci-dessus vous avez en copier-coller, tel que ce sera dans le recueil, ce que j'écris sur la prise du drapeau du Füsilier-Regiment.Nr.36, drapeau pris à l'ennemi dans la nuit du 7 au 8 septembre 1914.
Puisque je vous présente cela, il me faut vous présenter les protagonistes. Bien sûr, dans le recueil ce sera mieux fait !
Paul Poix, mon arrière-grand-oncle.
Gaspard Poix, mon arrière-grand-oncle
Germaine Poix, mon arrière-grand-mère
Pierre Poix, mon arrière-grand-père.
Adélaïde Poix, mon arrière-grande-tante
Jean-Marie Poix, mon grand-oncle, celui qui m'a fait découvrir toutes les lettres de ma famille. Fils de Pierre et Germaine.
Surtout n'hésitez pas à me faire des remarques si j'ai oublié un élément important ou autre. Vaut mieux que je l'apprenne maintenant qu'après la sortie du recueil...
En espérant que cela vous intéressera.
Léopold
source : historique du 60ème RI, article du journal "Tranchées" de mars 2018, Lecture pour Tous du 15 septembre 1915 et lettres de ma famille. "
La blessure et l’action de Paul : Paul est blessé dans la nuit du 7 au 8 septembre et est acteur d’un événement très important : la prise d’un drapeau allemand !
En 1914, chaque régiment français en possède un. Du côté allemand il y a un drapeau par bataillon, ce qui représente trois par régiment. Le drapeau est un emblème et symbolise l’honneur des soldats ; le perdre face à l’ennemi est une immense humiliation. Le 7 septembre, l’ennemi a déjà perdu plusieurs drapeaux mais aucun n'a encore été pris à un bataillon de l’armée active allemande, seulement à des régiments de réservistes.
Voilà ce qui est écrit dans l’historique du 60ème RI (celui de Paul) sur la journée du 7 :
« Le 7 au matin, le régiment revient près de Bouillancy pour être regroupé. L'attaque reprend sur toute la ligne. Le 60ème est porté sur la ferme Nogeon, où il arrive vers 9 heures. La résistance ennemie est acharnée sur la ligne Acy-Étavigny. Nos fantassins tentent en vain d'escalader les pointes de la Gergogne et ils subissent des pertes énormes. Dans la soirée, vers 22 heures, se produisit un épisode curieux. La ferme Nogeon, qui se trouve à l'intersection des routes de Puisicux et de Vincy, était occupée par des troupes appartenant à la 63èmeD. I. et au 60ème. La ferme et la distillerie attenante étaient en flammes dans un clair de lune splendide. Les troupes qui devaient attaquer le lendemain vers 3 heures prenaient leurs dispositions et commençaient à se ranger. Les Boches faisaient un bruit infernal à l'aide de fifres et de clairons, peut-être pour faire croire à une attaque imminente de leur part. Le lieutenant Kah, commandant la 1ère compagnie, envoie une section en reconnaissance sous le commandement du sous-lieutenant Colin. Cette troupe s'engage dans une avant-ligne allemande. Une voix s'élève dans la nuit, c'est celle d'un officier boche : - Y a-t-il un officier français ? - En voici un, répond le lieutenant Colin. - Rendez-vous ! – Moi ! s'écrie le lieutenant, et saisissant son revolver il s'élance. Un corps à corps général s'engage. ».
Le violent combat est très confus avec pour seule visibilité celle provenant des bâtiments en feu. A la fin, un soldat se présente à son colonel avec le drapeau du 1er bataillon du Füsilier-Regiment.Nr.36, lui disant être le seul à avoir participé à cette prise. Il s’agit du soldat Guillemard du 298eme RI. Il est élevé au rang de héros national et, est décoré par le général Gallieni puis promu sergent.
Cependant l’histoire est plus complexe. La prise ayant eu lieu dans un contexte particulier, très rapidement plusieurs hommes se manifestent pour contester la version du nouvel héros. Il ne fait aucun doute qu’il a ramené le drapeau mais est-il le seul à avoir contribué à sa prise ?
Si les autres versions sont rapidement écartées pour leur manque de cohérence il y en a une qui retient l’attention : celle de Maurice Colin.
Le sous-lieutenant Colin dit avoir pris le drapeau : au cours de la mêlée, Colin sabre un allemand couché sur le drapeau et s’en empare. Il se retourne et le donne à un homme placé juste derrière lui. Il croit dur comme fer que ce soldat est de son régiment. A l’époque il était coutume de partager les honneurs ; Guillemard se présente et ne mentionne pas le sous-lieutenant de Colin. Ses hommes soutiennent cette version.
Malheureusement Colin et Guillemard meurent quelques jours après, respectivement le 13 et le 20 septembre ; il devient alors impossible de tirer l’affaire au clair et depuis 100 ans il y a un doute sur cet évènement.
Le soldat Guillemard transperça de sa baïonnette le porte-drapeau allemand » Lecture pour tous, septembre 1915 C’est alors que les lettres de la famille Poix interviennent : Colin est celui qui a pris le drapeau des mains de l’ennemi et se retournant, il donna le drapeau à un homme de son régiment ; il s’agissait de Paul Poix ! Le drapeau en mains, Paul est alors blessé et lâche le drapeau.
Suite à la visite de Gaspard à Poligny en octobre 1914, Germaine écrit à Pierre : « La balle lui a traversé la cuisse droite, et est venue se loger dans la gauche, aussi il en a eu pour longtemps quoiqu’il va mieux maintenant, il parait que Paul devait aller plus loin que Rennes mais il souffrait et criait tellement dans le train que les infirmiers l’ont fait descendre plus près qu’il ne devait se rendre. Vois-tu, il ne nous en avait jamais parlé. Mieux encore, c’est lui seul qui avait pris le drapeau, (je ne sais plus lequel), puis au moment où il se sauvait avec, il a été blessé, et s’est un autre qui lui a volé, une espèce d’apache(10) de Paris, et s’est celui-là qui a eu tous les honneurs. Paul s’est plaint à son capitaine et ce capitaine va faire des recherches et porter plainte, si bien que peut-être, justice lui sera faite et que Paul pourra obtenir la croix de la légion d’honneur ! mais quand ? C’est vraiment beau cela crois-tu ? de la part de ton frère ! »
Malheureusement, sa plainte n’a pas dû être entendue du fait de la multiplication des versions contestataires.
Pourtant, la famille n’oublie pas cette histoire. Le 7 février 1915 Pierre écrit Germaine : « Adéla m’a envoyé la carte du drapeau pris par Paul le 7 septembre. Ce n’est pas sans émotion que j’ai recherché sa lettre dans laquelle il me racontait cela. […] Je leur ait montré [aux camarades] la carte du drapeau auquel Paul a contribué à la prise, et leur donnait la lettre par laquelle Paul m’annonçait cela. »
En effet, Paul raconte en détail cet événement à son frère dans une lettre datée du 7 octobre 1914. Ce dernier dit ensuite à Germaine que cette lettre est « une page d’histoire ». Elle a survécu à la guerre mais Pierre en était tellement fier qu’il la conservait dans son portefeuille et elle ne nous n'est pas parvenue.
Carte du drapeau envoyée par Adélaïde Poix à son frère Pierre, elle a rayé le nom de Guillemard pour y mettre Paul Poix. Pendant longtemps, en lisant la phrase de Germaine « c’est lui seul qui avait pris le drapeau » j’ai cru que Paul présentait une nouvelle version des faits. Bien sûr, Pierre écrit que « Paul a contribué à la prise » mais en l’absence d’autres documents il était impossible d’en être certain.
Un jour alors que je lisais un carnet sur la généalogie de la famille Poix, écrit par Jean-Marie Poix, je suis tombé sur 3 pages parlant de 14-18 et il était fait mention de la prise du drapeau : « Paul […] avait repris le drapeau allemand du régiment de Bavière que son lieutenant mortellement blessé lui tendait puis blessé à son tour un soldat français lui pris et c’est le nom de ce dernier que peut figurer à l’histoire ».
Ainsi la version de Paul et celle du sous-lieutenant Colin concordent. Colin n’était pas mortellement blessé mais Paul étant immédiatement éloigné du front a pu croire cela à la faveur de la nuit."
Ce scanne de la lettre de Germaine n'est pas dans le recueil mais je peux l’insérer ici pour vous :