Alphonse Bernard Gay de Taradel
Origines :
Alphonse Bernard Gay de Taradel né le 20 août 1841 à Marseille, est le fils d'Auguste M. Gay de Taradel et d'Hippolyte Louise Adèle Avon.
La famille Gay est une ancienne famille noble de négociants marseillais. Elle acquiert sa seigneurie de Taradel-Saint-Martin en 1785.
Le titre de noblesse est perdu sous la Révolution mais sera récupéré par une ordonnance royale du 21 février 1830. La famille a un passif militaire dans la Marine royale et impériale.
Alphonse Bernard est donc baron de Taradel, orphelin à la naissance il connait deux pères nourriciers militaires :
- Jean Thomas Noël COLONNA D'ISTRIA, colonel au 1er régiment de tirailleurs Algériens
- Roger Henry Alix DE MÉRIC DE BELLEFON, colonel au 88ème régiment d'infanterie
Il se marie avec sa cousine Pierre Augustine Lucie Constance, baronne Gay de Taradel le 24 mai 1889. La famille est installée dans son domaine de Taradeau.
Carrière Militaire :
Alphonse Bernard commence sa carrière militaire comme grenadier au 2ème régiment de Grenadier de la Garde impériale en 1861.
La même année, il rentre à l'École Spéciale Militaire de Saint-Cyr. Il intègre la promotion "Mexique" 1861-1863.
Il en sort 125ème sur 250 et intègre comme sous-lieutenant le 4ème régiment d'infanterie de marine. De 1865 à 1866 il part en campagne à la Réunion, il est promu lieutenant en 1866 en passant au 2ème régiment d'infanterie de marine.
En juin 1866, la France connait une situation délicate dans le sud indochinois, les troupes annamites redoublent leurs attaques. La réponse par la force est choisie. Le lieutenant Gay de Taradel est envoyé en campagne en Cochinchine de novembre 1866 au mois d'août 1872. En mai 1867 il est détaché à l'État-Major de l'armée expéditionnaire, trois ans plus tard il est promu capitaine, toujours à l'État-Major.
Trois provinces sont annexées, Châu Dôc, Hà Tiên et Vïnh Long. Il faudra tout de même attendre la fin de l'année 1867 pour que la France se rende maître du sud indochinois.
De retour en métropole, Alphonse Bernard met un terme à sa carrière dans l'infanterie de marine et est promu chef de bataillon au 70ème régiment d'infanterie de ligne en novembre 1876.
En 1879 il est nommé au 1er régiment des tirailleurs algériens ou il retrouve son premier père nourricier, le colonel Colonna d'Istria. Il participe à la Campagne d'Afrique de décembre 1879 à avril 1881. Il est ensuite choisi pour le Corps expéditionnaire en Tunisie en avril 1881. Il part pendant deux mois et commande le 3ème bataillon du 1er tirailleurs algériens (Brigade Ritter, colonne de gauche). À son retour il est nommé chevalier de la Légion d'honneur en juillet 1881 et se fait remettre sa décoration par le colonel Colonna d'Istria. Il participe ensuite de nouveau à la Campagne d'Afrique jusqu'en août 1882, avant son retour en métropole.
Le 10 décembre 1883 il obtient son brevet d'État-Major et est envoyé hors-cadre à l'État-Major du 6ème Corps d'armée. En juillet 1885 il devient attaché militaire à l'ambassade de la République française de Rome. De retour en France et alors chef de bataillon au 112ème régiment d'infanterie, il est détaché au 3ème bureau d'État-Major général du Ministre de la guerre. Le 3ème bureau gère les opérations militaires, l'instruction générale de l'armée, l'historique ainsi que la topographie de campagne.
Il réintègre le cadre en 1886 en étant promu lieutenant-colonel au 13ème régiment d'infanterie. Colonel au 61ème d'infanterie en 1889 puis au 83ème en 1893. En 1895 il est nommé Chef d'État-Major du 17ème Corps d'armée. La même année, il est promu général de brigade et est mis en disposition. Il obtient un commandement en 1896 avec la 68ème brigade d'Auch. En juillet 1898 il est élevé au rang d'officier de la Légion d'honneur, celle-ci lui est remise par son second père nourricier et ancien camarade de promotion à Saint-Cyr, le colonel De Méric de Bellefon, commandant le 88ème régiment d'infanterie, intégré à la 68ème brigade du général.
Le 30 décembre 1899 il est nommé Gouverneur militaire de Perpignan. Le 23 août 1902 il est relevé "à sa demande" et mis en retraite.
Les différents "Incidents De Taradel" :
L'incident du Gers : Alors général commandant la 68ème brigade, le 14 juillet 1899 pour la fête nationale le général de Taradel doit passer la garnison (88ème d'infanterie, 9ème chasseurs et la gendarmerie) en revue sur la place de l'Hotel de Ville.
Une tribune y fait face, accueillant les officiels. Contrairement aux années précédentes, l'archevêque, Monseigneur Balaïn est présent. Arrivant à cheval face à la tribune le général s'exprime alors :
" D'après le décret de Messidor, vous êtes, Monseigneur la première autorité du département. Je salue Votre Grandeur et la remercie d'autant plus d'être venue présider cette cérémonie, que je connais ses sentiments personnels pour l'armée"
Le général fait faire demi-tour à son cheval pour commencer la revue, oubliant de saluer Monsieur le préfet, premier représentant de l'état en l'absence de Monseigneur l'archevêque. L'incident est relevé dans la presse régionale puis nationale. Dénoncé comme un acte antirépublicain par beaucoup, soutenu par d'autres ou bien incompris de certains, le général ayant respecté le protocole en la présence de l'archevêque.
Cet incident ne plait pas en haut-lieu, le général de Taradel en assumera les conséquences en étant nommé au mois de décembre de la même année comme gouverneur militaire de Perpignan. Une nomination qui résonne comme une punition pour la presse.
Journal de la Gendarmerie de France, 1899
L'incident André - Taradel : Le général Louis André est nommé Ministre de la guerre en mai 1900 par le président du Conseil Waldeck-Rousseau. Nous sommes alors quelques mois après la procès en révision de l'Affaire Dreyfus, à Rennes. André veut s'attacher à rétablir la discipline militaire, surtout des plus gradés. Il s'exprime ainsi pour sa nomination à la chambre des députés en 1900 :
" Soyez certains, Messieurs, que la tâche que je me suis imposé est de maintenir à tous les degrés de l'échelle, et de rétablir, s'il en était besoin, la discipline militaire la plus absolue"
Il constitue rapidement deux listes d'officiers. L'une désignant les officiers républicains sous le nom "Corinthe" l'autre comportant les officiers réactionnaires réunis sous le nom "Carthage" reprenant ainsi les termes de Caton l'ancien "
Delendo est Carthago" (Il faut détruire Carthage).
C'est dans ce contexte que le 27 août 1901 le Ministre André se rend en visite à Perpignan et y reçoit un accueil des plus chaleureux. La foule l'acclame sous les cries "Vive la République". Le général de Taradel, présent, ce serait alors exprimé "Pas moi !" ou (selon la presse) "Je ne crie pas cela moi!", comme le relate l'Ouest-Eclair du 28 août 1901 :
La général tente de s'expliquer, arguant qu'il pensait avoir été pris pour le Ministre et qu'il voulait éviter le malentendu en répondant "Pas moi!" à la foule.
L'incident est tout de même mal vu par une grande partie de la presse. La Nouvelle de Bilda du 28 août 1901 conclue ainsi son article :
" Que l'une ou l'autre version soit la vraie, l'incident n'en est pas moins insignifiant ; l'opinion d'un citoyen à particule, fût-il général, ne pèse pas d'un grand poids sur la destinée de la République. Le droit et le devoir de la nation est, néanmoins, d'exiger de tous ses fonctionnaires, civils ou militaires, un loyalisme absolu."
.
Le général achevait par là sa réputation à Perpignan. Il faut dire qu'il n'en était pas à son coup d'essai, en janvier de la même année, le gouverneur militaire avait montré son antirépublicanisme lors d'une réception officielle en critiquant l'école républicaine :
La Charente, 9 janvier 1901
Face à la réaction de l'opinion et du Ministre, le général de Taradel fait publier une Lettre ouverte au général André dans la presse. il s'exprime ainsi :
"…Le moyen dont vous vous êtes servi sous l'empire, en criant "Vive l'empereur!" et en le faisant crier par vos canonniers, vous l'avez adopté sous ce régime de défroqués, en distinguant ceux qui hurlent : "À bas la calotte!" et ceux qui chantent l'Internationale…
…Vous qui livrez la France à l'étranger, d'une manière bien plus sûre et bien plus certaine que les traitres et les espions qu'ils payent pour faire cette besogne…"
Le général n'est pourtant pas seul contre tous, il reçoit le soutien des traditionalistes, nationalistes et des royalistes. Notons ainsi la réaction du quotidien
l'Action française dans un article sur cette lettre :
La lettre ne restera pas sans conséquences, le 23 août 1902, le général de Taradel est mis en retraite. Même si les publications officielles parlent d'une "demande personnelle"
Revue du Cercle militaire : bulletin des réunions d'officiers des armées de terre et de mer, 1902
L'affaire du complot contre la République (1906) : En pleine période électorale, la presse fait état d'un complot visant à renverser le Gouvernement de la République. Publiant, preuves à l'appui de nombreux documents. Parmi ces documents, une lettre du général de Taradel :
Le nouvel Intransigeant Oranais, 22 mai 1906
L'affaire n'ira pas plus loin, même s'il elle valut une perquisition au domaine du général, à Taradeau.
L'incident Sauret - Taradel : Le général en retraite n'arrête pas pour autant ses publications dans la presse. En 1911 l'une d'elle à l'encontre du général Henry Sebastien Sauret, alors général Chef d'État-Major du gouvernement militaire de Paris, permet de faire à nouveau parler de lui à l'échelle nationale.
Publiquement critiqué le général Sauret déclare alors vouloir envoyer ses témoins au général de Taradel. il s'agit d'une préparation pour un duel.
Finalement, mettant en avant l'âge avancé du général de Taradel (70 ans alors), le général Sauret serait revenu sur ses déclarations permettant ainsi au baron, de se montrer plein d'assurance dans la presse.
Le Petit Parisien, 4 mars 1911
Alphonse Bernard Gay de Taradel meurt le 3 juin 1913, à Saint-Alban-les-Eaux
Conclusion
Je me suis permis cette présentation, elle reflète l'histoire qui se cache, parfois, derrière une étiquette sur un uniforme. Si l'on doit se pencher sur la seule carrière militaire du générale, elle est quasi-exemplaire pour cette époque. Saint-cyrien, il participe à 4 campagnes dont un Corps expéditionnaire, il est breveté d'État-Major, est nommé dans certains services prestigieux, envoyé comme attaché militaire à l'étranger, Chef d'État-Major au 17ème Corps d'armée etc..
La suite reflète des sujets politiques, militaires et religieux de la fin du XIXème siècle français. Le général de Taradel n'en est pas un symbole mais un exemple parmi d'autres au coeur de l'institution militaire. Un officier de l'armée française, ouvertement antirépublicain, catholique conservateur et royaliste qui ne cache en rien ses idées, s'attaquant même publiquement à de grandes personnalités.
Antidreyfusard convaincu, il est membre de la Ligue de la Rose Blanche, un mouvement politique légitimiste crée en 1906 par le comptable Achille Joinard et l'avocat belge Paul Watrin. La ligue se propose comme une alternative à la branche des Orléans. Elle soutiendra notamment Louis Gregori (dont Joinard est le secrétaire) lors de la tentative d'assassinat d'Alfred Dreyfus en 1906. Cette tentative sera célébrée deux fois dont l'une le 20 juin 1910, célébration organisée par la Ligue de la Rose Blanche et présidée par nul autre que le général de Taradel, en présence du lieutenant-colonel du Paty de Clam.
La revue
Le Panache, royaliste, créée en 1902 consacrera un portrait au général ainsi qu'une note pour son décès.
Portrait du général, titré "colonel" car il a été publié dans
l'Histoire abrégée des campagnes du 61ème régiment d'infanterie, rédigé par le colonel Urion, commandant le régiment en 1897 et publié la même année. Alphonse Bernard est alors général de brigade depuis 1895. À noter la médaille coloniale sur sa poitrine comportant une agrafe, peut-être Afrique ou Tunisie.
Uniforme de grande tenue du général Taradel, daté de 1895. A l'exception de la Légion d'honneur et de l'épée, l'ensemble lui a appartenu.
Portrait du général dans la revue Le Panache de 1911