Envoi du rapport du sergent Quincy, évadé le 1er mars 1917 d’un camp de représailles près de Bapaume.
Le sergent Quincy, fait prisonnier à Longwy en 1914, a été emmené du camp de Königsbrück le 23 janvier 1917 avec un groupe dit de représailles pour travailler aux organisations défensives à Favreuil ( 2 kilomètres au nord de Bapaume, soit à 6 500 mètres environ de la première ligne, le 12 février 1917, jour d’arrivée). Il s’est évadé le 1er mars, a traversé de nuit les diverses positions allemandes, s’est trouvé en plein combat au sud du bois Loupart où il a été recueilli dans un trou d’obus par des Australiens qui refoulaient l’ennemi.
Ce sergent, qui a une bonne instruction et est intelligent ( sorti des Arts et Métiers de Châlons, candidat E.O.R. en 1914) a fourni aux services de l’Intelligence des renseignements intéressants sur les positions allemandes.
Je lui ai fait rédiger le rapport ci-joint dans lequel on peut relever:
1) la situation faite aux prisonniers du groupe de représailles;
2) l’état d’esprit des travailleurs polonais et des sentinelles avec qui le sergent était en contact;
3) des renseignements sur les préparatifs d’évacuation par l’ennemi de la zone au nord de Bapaume.
Rapport concernant ma captivité en Allemagne et mon évasion à travers les lignes britanniques.
Identité.
Quincy Lazare, né en août 1898 au Creusot ( S.et L.) sergent à la mobilisation, 15e compagnie 164 ème de ligne, Longwy. Subi en juillet 1914 la première partie ( écrit) de l’examen de E.O.R. à Châlons-sur-Marne, convoqué le 4 août pour la seconde partie
(oral) à Nancy, empêché de m’y rendre par la mobilisation. Recrutement de Mézières. Domicilié à Longlaville et employé deux ns au bureau des Études de la “société des Aciéries de Longwy”. Sorti École Nationale d’Arts et Métiers de Châlons avec promotion 108-111. Diplôme d’ingénieur A.M.
Captivité en Allemagne.
Tombé le 26 août 1914 avec la garnison de Longwy aux mains des Allemands et emmené le 27 ( par Haleuzy, Luxembourg, Kaiserlautern, Spire, Germersheim, Nürenberg, Hof, Dresde) jusqu’au camp de Königsbrück où se trouvaient déjà un certain nombre de Français faits prisonniers en Alsace et dans les Vosges. Le camp se composait de trois groupes de baraquements séparés, l’un dit “camp français”, constitué par des écuries et des baraques en tôle ondulée servant en temps normal au cantonnement des troupes, le second “camp mixte” fait de baraques en bois, et enfin un troisième comprenant de grandes tentes où étaient logés des Russes faits prisonniers en partie dans les lacs masuriques.
Puis dirigé sur camp mixte et y restai jusqu’en août 1915, époque à laquelle je passai au camp français. De là, fus envoyé commencement décembre 1915 comme interprète avec un détachement de 12 Français dont deux autres sergents comme moi. Le “Kommando” sous la garde de trois sentinelles fut dirigé sur “Ottendorf-Okrilla” ( près de Dresde) et mis à la disposition du directeur d’une scierie et menuiserie, Schiffl & Fils. Le travail exécuté par mes camarades, tous menuisiers de profession, consistait et doit encore consister en fabrication de meubles grossiers en bois blanc: tables, buffets, commodes, etc... Peu de temps après notre arrivée on fit entamer à mes camarades un travail dont l’étrangeté attira bientôt mon attention. Il s’agissait de sortes de caisses assez petites et pourvues d’un revêtement en zinc. Utilisant ma connaissance de la langue allemande, j’appris en causant à droite et à gauche que ces caisses faisaient partie d’une commande à destination du dépôt d’artillerie de Dresde. Après entente avec mes camarades, ceux-ci décidèrent de cesser le travail et je portai le cas devant le directeur, lequel se voyant découvert ne fit aucune difficulté pour reconnaître qu’il s’agissait de boites devant renfermer des fusées, et s’engagea à fournir aux prisonniers leur ancien travail de meubles et à ne plus tenter de leur faire exécuter des travaux servant à l’armée. Depuis, et jusqu’à mon départ de l’endroit, cette promesse fut tenue.
Après 7 mois 1/2 de séjour à Okrilla, jugeant que je m’étais suffisamment approfondi dans la langue allemande, je me fis porter malade et revint au camp pour rhumatismes ( juillet 1916). Là je pus constater que le fait d’avoir porté cette réclamation au sujet du travail de caisses avait été signalé à l’Administration du camp et que l’on m’en gardait une dent.
Fin août 1916, sans être ni consulté ni pressenti, on m’embarqua en compagnie d’un autre sergent pour "Geising" (Erzgebirge), j’appris que nous devions y servir de cadres pour les 300 et quelques Français qui étaient logés dans le village, et qui tous étaient originaires du camp de Königsbrück. Tant par le manque d’organisation que par la rigueur du travail exigé, je fus bientôt convaincu que le camp de “Geising” n’était autre que le camp de travail de Königsbrück qui lui, était le camp de parade, et je serais fort étonné qu’une commission quelconque ait jamais visité les prisonniers de Geising.
Ayant toutefois réussi à obtenir quelques améliorations pour mes camarades ( lavage du linge, échange de serviettes) je repartis au camp fin septembre, m’étant une fois de plus fait porter malade. J’appris alors que tous mes nombreux changements de baraques et de camps me venaient de l’animosité qu’avait conçue pour moi un Unteroffizier allemand, chef de baraque (Fossau) à qui je devais avoir déplu. Ce fut encore ceci qui fut cause, le 23 janvier 1917, de mon départ avec un groupe de représailles, départ comprenant 30 sous-officiers et 70 soldats et caporaux, ces derniers revenus depuis peu des récentes représailles de Pologne et réservés jusque là à la disposition du Ministre de la Guerre pour une cause inconnue.
En représailles.
Notre détachement est rassemblé en tenue de départ le mardi 23 janvier 1917 à 1 heure 30 du soir et dirigé sans aucune explication dans une baraque isolée où nous restons toute la nuit. Sur le matin, annonce de départ et ordre de nous défaire de nos bagages encombrants car nous devons faire de longues marches. Embarqués à 4 heures 30 à la gare de Königsbrück dans wagons de 2ème classe, passés à Dresde, Meissen, Leipzig ( 12 heures 30). Rencontrons d’autres prisonniers venant des camps de Saxe ( Chemnitz, Zwickau, Golzzern, Corbetha: 14 heures 45, Weimar) arrivée à Giessen le jeudi 25 vers 14 heures. D’autres camps sont déjà là ( Münster etc). Passons à la désinfection et sommes logés dans des baraques. Restons à Giessen 15 jours sans lettres, sans colis. Seuls les biscuits ont été touchés. Jusqu’ici personne ne nous a dit encore le motif de notre arrivée ici et la suite que prendra notre voyage. Nous nous en doutons. Sommes pourvus d’un brassard blanc F.K.IX. Partis de Giessen le jeudi 8 février 1917 à 11 heures, ayant été prévenus à 10 heures. Embarqués à 13 heures 30 dans des wagons de 3ème classe. Les sentinelles sont en tenue de campagne et toutes muettes sur notre but. Metzler, Herborn ( 16 heures 40) Cologne ( 2 heures) Aix-la-Chapelle, Herberstahl ( 5 heures). Nous mangeons et sommes comptés. Trois sont partis en route dont deux de mon camp.
Valenciennes ( samedi 10, 9 heures 30), Aniches, Aubigny, Quéant( 21 heures). Débarquons là. Marche jusqu’au matin. Canonnade, fusées, je ne sais plus où nous sommes. Arrivons vers 2 heures en un village où l’on nous loge dans des baraques en tôle, sur plancher tout pourri, sans paille. au jour, nous apprenons que nous sommes à Favreuil par représailles, que nous sommes astreints à des travaux de défense et qu’il nous est permis d’écrire en France, à nos familles, à la presse, aux personnes influentes, etc...
Quelques fragments de mon carnet de notes.
Lundi 12: Rien mangé depuis 48 heures, pas même un morceau de pain. Cantonnés baraque tôle 600, pas de place, l’un sur l’autre, pas de paille, ni feu ni lumière. Rien touché; pas même de l’eau. Hier, avons été creuser tranchée parallèle à route Arras entre Ervillers et Sapignies.
Mercredi 14: Avons enfin touché lundi soir 500 grammes de pain et 1/14 de boite de conserve, le tout pour 2 jours. Le travail continue: tranchée le long de la route Arras. Et l’on parle de nous retirer une couverture et la toile de tente. Un autre détachement est logé dans l’église d’Ervillers. Il est 16 heures 30; allons rentrer dans deux heures toucher pain et peut-être enfin quelque chose de chaud, puis, sans lumière, à tâtons, enlever ces chaussures pleines de boue et s’étendre les uns sur les autres.
Mardi 20: Un peu de lumière devant moi. J’en profite.... Nous faisons tranchées. Aujourd’hui, pluie continuelle. Suis rentré trempé, mais trempé comme on ne peut l’ écrire; et demain, remettre cette capote mouillée et repartir. Quelle vie!... On nous a pris une couverture, la toile de tente, nos bagages sauf une musette et un sac tyrolien. Un sergent instituteur a refusé le travail.
D’abord attaché plusieurs après-midi au poteau, sur le terrain, a été puni de 5 jours de cage par le lieutenant commandant le détachement ( Eierman?). Enfermé 48 heures dans cage de 3 mètres sur 8 mètres. Il a enfin cédé sous la menace du fusil.
Mercredi 21: Je cause avec les sentinelles, avec les Amierung. Quel état d’esprit! quelle dépression! Je ne pouvais le croire. Ils sont presque aussi rationnés qu’à l’intérieur. Il paraît que là-bas ( vorn), en avant Bapaume complètement détruite, il n’y a plus de tranchées. Les hommes sont dans les trous d’obus, dans la boue jusqu’au ventre. Nous allons avoir fini une tranchée d’au moins 2 kilomètres entre Béhagnies et Ervillers. Le réseau se pose. Derrière Quéant, encore une position, et les sentinelles disent que la position principale se trouve devant Cambrai. On cause déjà à mots couverts de raccourcissement du front.
Même jour, 14 heures: Aujourd’hui la pluie a cessé; je suis, je me suis fait interprète pour la journée; en réalité pour ne pas travailler, car tous, sauf 20 sous-officiers et les interprètes, tous doivent travailler. Ce sont les nouveaux ordres ( 8 jours déjà) qu’un général est venu hurler un jour sur le terrain. La tranchée est terminée, les abris se commencent. La moitié du réseau est déjà posée, des boyaux s’amorcent, une position complète enfin... J’essaierai de faire un croquis de la position un de ces jours pendant la pause de midi, car depuis 3 jours nous avons 1/2 heure de pose de 12 heures à 12 heures30; probablement dans le but d’écrire.
Vendredi 23: Ce matin le calvaire a été un peu plus pénible. Nous ou plutôt ce qui nous reste de nos bagages, car il parait qu’ils ont éventré et pillé le reste.
Samedi 24 février: Sommes emménagés à Béhagnies. Tout commence à déménager; je crois qu’il s’agit bien d’un recul préparé. Les canons anti-avions qui étaient enterrés sur le terrain où nous travaillons sont partis hier. Plus de civils dans le village depuis 8 jours déjà ( dimanche 18). Tout le fer, charrues, cercles de tonneaux, tout, absolument tout est embarqué. A mon avis, nous ne resterons plus longtemps ici. La position s’avance d’ailleurs... Ce matin à 8 heures, les malades ont été ramenés au village ( congestion). Aurai-je enfin le courage ou la folie d’essayer de passer les lignes. En une nuit ce serait peut-être fait! Mais dès que cette idée se présente à mon esprit, elle ne peut plus se détacher d’une autre. Un corps enlisé jusqu’au cou dans une boue gluante, une voix criant au secours puis le silence et puis plus rien...
Dimanche 25 février : Je fais partie d’une équipe qui est partie travailler ailleurs qu’au chantier habituel. Je n’ai pu encore repérer l’endroit. Le brouillard ne me l’a pas permis ce matin et cet après-midi, bien que le soleil donne, je ne suis pas plus avancé. Il suffit d’un peu de soleil et aussitôt les pensées sont tout autres. Aujourd’hui, par exemple, il me semble que rien ne serait plus facile que de franchir les lignes, puis demain, s’il pleut, je me persuaderai de l’impossibilité de la tentative. Réellement, tout est bien pesé, ce ne doit pas être chose commode, mais il n’y a pas d’impossibilité.
L’idée s’ancrant de plus en plus en moi, je l’étudiai à fond dans les jours qui suivirent et je réussis à me procurer 1 litre de “schnaps”, 1 lampe électrique, 1 carte et 1 pantalon et calot allemand. Je ne réussis à avoir une capote que le mercredi soir en échangeant la mienne avec une allemande que possédait un camarade (Hérin). Le mercredi soir j’étais prêt, mais ne pus sortir de la baraque, l’heure étant trop avancée.
Mon évasion:
Ma sortie du camp. Afin de préciser d’une façon exacte la façon dont j’ai pu réussir à sortir du camp où nous étions internés, je trace ci-dessous et autant que ma mémoire me le permet, le croquis de notre cantonnement.
CROQUIS
Vers 4 heures je commence à m’habiller: pantalon, bottes que j’ai échangées avec Zerbib pour mes souliers fins, capote boche dont je relève les pans devant et derrière, et par-dessus tout capote française de Zerbib. Képi sur ma tête, calot dans ma poche. Vers 6 heures, les hommes rentrent du travail et mangent la soupe. Il fait beau. Vers 7 heures je juge le moment venu, fais signe à un camarade avec lequel je m’étais concerté; il se dirige aux cabinets. Après avoir bu un coup de tord-boyaux, mis ma musette sous le bras, et tenant ma gamelle à la main, je sors à mon tour et me rends aux cabinets. Là j’enlève rapidement képi et capote française, rabats les pans de l’autre, mets le calot, charge le copain de ramener à la baraque gamelle, capote et cache-nez, et, après lui avoir demander sa pipe, l’avoir allumée, et mis le képi dans ma poche; je sors la musette sous le bras, la pipe aux lèvres, accompagné d’un “bonne chance” de tous ceux qui étaient aux cabinets. Le suis le trajet indiqué sur le croquis, rencontre 20m. avant la porte A. deux camarades revenant d’une corvée d’eau et auxquels je me fais reconnaître par un rapide : "salut les enfants”, et passe la porte A. au nez de la sentinelle qui, me prend pour l’un des siens ayant eu à faire au camp. Je gagne la route du même pas lourd voulu et sans regarder en arrière poursuis jusqu’au bout du village, puis de là, à travers champs, arrive dans cette sorte d’excavation qui avait été l’abri d’une saucisse et où j’écrivis les quelques lignes de mon carnet.
Fragments de mon carnet.
Jeudi 1er mars. Nuit du 1er au 2. Journée décisive. Hier, coup raté. Aujourd’hui, parti. 7 heures 25 du soir. A la lueur de ma lampe, dans un abri qui fut il y a peu de temps le logement d’un ballon captif. Suis parti du camp avec l’intention de franchir les lignes. Nuit étoilée, clair de lune. Désavantage. Qu’importe! Prêt depuis 3 jours déjà, costumé, rien ne manque. Dois réussir coûte que coûte. Attends ici nuit noire, puis fais suivre ma bonne étoile. Pas d’anicroches pour sortir. Suis parti le s mains dans les poches avec une vieille pipe au bec. Cela m’aide à me mettre en forme. De plus, ai encore un peu de schnaps. J’arrête pour ne pas user ma pile. Vais regarder encore ma carte.
A partir de là, mon carnet porte une grosse inscription en bleu :” nouvelle ère.”
Samedi 3 mars. Tirons une grande barre et fermons la parenthèse.
Il est 9 heures ( heure française) et je suis en France, sur ma bonne terre.... Je reprends mon odyssée où je l’avais laissée et fais essayer de me rappeler les idées, les pensées qui m’ont assaillies pendant cette nuit mémorable:
Il est environ 9 heures du soir. Je quitte mon abri. Je repère la grande ourse, la polaire, puis demi-tour par principe et en avant droit au sud. A gauche, Béhagnies. Je marche à travers champs, la nuit est claire, trop claire même.... Des réseaux , une tranchée vide. Je cherche un passage, le trouve et en avant. Un chemin E.O. Je le longe et oblique O. Un croisement. Poteau indicateur: d’un côté, Gomiécourt, de l’autre, Sapignies. Un coup d’oeil à la polaire, et à travers champs E.S.O. Pas une silhouette, pas un coup de canon, rien. Ce calme me surprend. La nuit s’obscurcit, la lune se voile, mes repères disparaissent. Je compte bientôt atteindre la voie ferrée qui m’orientera. Canonnade légère, puis augmentant. Un chemin en assez mauvais état. Dois être entre Biaucourt et Bievillers. Je m'arrête dans excavation du talus, regarde carte, puis repars perpendiculairement au chemin.
( De là jusqu’à la voie ferrée, mes souvenirs sont vagues et je ne puis préciser si j’ai passé des réseaux ou des tranchées. En tous les cas, ce ne fut pas difficultueux puisqu’il ne m’en reste aucune trace).
La voie, ou plutôt ce qui reste de la voie, un rail unique, des traverses ça et là. Nouveau coup d’oeil à la carte. Je dois, d’ici un kilomètre environ, couper légèrement en oblique un chemin venant de Grévillers puis 500 mètres plus loin un autre. La nuit est de plus en plus noire. Le brouillard est de la partie. Tous les atouts dans mon jeu. A gauche, masse sombre: ce doit être Grévillers. A droite, en avant, rien; je ne regarde jamais en arrière. Les fusées commencent en assez grand nombre, les pièces tonnent. Le terrain où j’avance n’est semé que de trous d’obus. Et quels trous!... Le premier chemin. Je passe et oblique plus à droite. Mon prochain repère doit être le bois de Grévillers. Une tranchée. Inoccupée. Des réseaux. Je longe, cherchant passage. Rien! ma foi, en avant! Les premiers mètres vont bien, puis je m’accroche, m’empêtre, et commence à pester. J’enlève bidon, musette et capote, je rampe, je grimpe, je passe. En avant, ligne indistincte, puis route bordée d’arbres. Deux convois passent allant sur Grévillers. Puis une silhouette à cheval, une petite troupe. J’attends. Zut! encore des réseaux. Plus facile à passer. Cent mètres et la route. Rien d’anormal. En avant, perpendiculairement. Le terrain est de plus en plus mauvais. Trous d’obus à demi remplis d’eau. Je trouve un bâton, le ramasse et voilà une canne. A l’esprit me vient celle du grand Feldwebel là-bas et de son usage. Je marche. La canonnade est toujours de plus en plus intense et, sur ma gauche. Instinctivement, j’oblique à droite. De grandes silhouettes. Tout ce qui reste du bois de Grévillers. Longe le bois sur une piste étroite du côté gauche. Là les Anglais ont dû envoyer quelques milliers d’obus, car ce ne sont plus de part et d’autre que trous et bosses. Me dirige à gauche. Tranchée. Dans quel état!: démolie, effondrée. J’y entre. Assez étroite et de profondeur ordinaire. Elle a l’air d’entrer dans le bois. Je poursuis et, en effet, elle y entre. Je fais encore quelques pas, puis retourne dans l’autre sens. Pas un homme, pas une ombre. Fais environ 100 mètres dans la tranchée, rencontre deux ou trois caisses en bois, puis un abri vide. J’y pénètre. Profond, poële, sacs vides, deux planches dans le fond. Je m’allonge et reste 1/2 heure. Il est 11 heures 30. Je reprends ma lampe, ma carte, regarde, mange un morceau, bois un coup de tord-boyaux et en avant! après avoir repoussé l’idée bizarre de passer la nuit ici. Brouillard assez fort. Canonnade. Quelque chose à ma gauche. les trajectoires se croisent au-dessus de moi. Coups de mitrailleuses sur la gauche. J’oblique à droite. Pourquoi? Instinct, rien de raisonné, les nerfs sont trop tendus. Devant moi, un arbre. Des pas, des voix: une relève sans doute. Vite contre le réseau dans un trou. Ferme les yeux. Un Allemand, deux, trois, passent. L’un m’aperçoit. Je ne suis pas à 5 mètres. Le coeur me bat à tout rompre.
“Eh! Du! da liegt siner. Hast du eine Taschenlampe?”
Un rayon lumineux m’est dirigé sur le corps. Heureusement, personne ne descend voir. L’autre répond: “ Ach! der ist kaput! lass liegen!” et le groupe s’éloigne en suivant la piste. Le rire me prend, je me relève et franchis le réseau qui n’est pas trop difficile. Toujours à travers champs. Un buisson et derrière une piste. Des pas, un groupe, je laisse passer. Toujours la canonnade. J’oblique à gauche, coupe la piste en biais. Je marche un bon moment, puis entends des voix, et la lueur des fusées me fait reconnaître en avant, à une trentaine de mètres des fils de fer et une tranchée. Les fusées partent de là. Donc, occupée. Attention! Je crois être arrivé à la troisième ligne allemande. Un trou assez grand, je m’y réfugie.
( A partir de ce moment, la canonnade et la fusillade étaient tellement violentes que j’ai perdu un peu toute notion de temps et de réflexion. Combien de temps suis-je resté là avant ce que je vais écrire maintenant, je ne puis l’évaluer).
Des voix, des cris, une débandade dans la tranchée en face de moi. Je me blottis davantage. Des hommes passent à droite, à gauche, en courant et hurlant des cris que j’entends encore résonner:”Handgranaten! Leuchtkugeln!” Je ne saisis pas sur le moment, je ne saisis pas que les Anglais sont là, à 50 mètres peut-être et qu’il s’agit d’une attaque à la grenade. Je lève la tête et quelque chose éclate aussitôt dans mon trou qui est envahi par une fumée épaisse. La joue droite me brûle et le bras droit me cuit. Je me recouche au fond du trou, le plus au fond possible, et passe ma main gauche le long de mon bras sous la chemise. C’est gluant, je la retire, et, à la lueur des fusées, je reconnais du sang. Suis blessé. Le bras marche encore cependant. Le combat continue sur la gauche. Un Allemand, deux, descendent affolés dans mon trou. Le deuxième me marche sur l’épaule droite. Je geins et articule “verwundet” ce qui les décide tous deux à s’en aller. D’autres pas se rapprochent, des hommes courent. Des mitrailleuses, des lance-mines sont juste derrière mon trou et chaque détonation me soulève du fond. “Die gehen zurück! Vorwärts! Die Runde!”
Ces exclamations lancées derrière moi d’où partent maintenant les fusées me ramènent à la réalité de la situation. Je comprends maintenant. Pas de temps à perdre. C’est l’instant. Je me lève, et courbé, remorquant mon bâton, gémissant à faire fuir ceux qui m’approchent, je passe la tranchée ou plutôt une sorte de vaste excavation. Je marche plus vite. En rampant, trente mètres qui durent des siècles. Le combat est fini, et devant moi un réseau. Je suis dérouté, égaré. Oblique à gauche où j’entends des voix. Me cache au voisinage d’un groupe, dans un trou. Non loin, des râles, des cris. A 3 mètres derrière moi, une ombre accroupie.
“Herr Leutenant! Herr Leutenant!
Ja! Bin da!”
Mon ombre est un lieutenant.
”Ha! ha! Herr Leutenant, bin verwundet! Ha ... bin...” la voix s’éteint “Sei ruhig, sei ruhig”. Je suis toujours au fond du trou sans bouger. Un autre dialogue reprend : "Keine Handgranaten mehr" ce à quoi mon ombre derrière : ”Wir sind zu weit vorn. Zurück.” - ” Herr Leutenant, dort liegen Paar Verwundete. - Ja, grade hier auch im Loch ( c’est moi) aber, die lassen wir liegen. Fort!”
Et je reste seul. La canonnade a cessé. Je lève la tête; à ma gauche, une tranchée vide. Je m’y risque et la suis du côté opposé où sont partis le Herr Leutenant et ses acolytes. Je débouche dans une excavation plus large, presse le bouton de ma lampe et recule d’horreur. Des bras, des corps, debout, assis, couchés, partout. Des Allemands partout. L’un, surpris sans doute au moment où il quittait son abri, est encore là debout, appuyé contre la tôle ondulée qui en formait le toit. Je renonce à pousser plus avant et reviens dans mon trou. Un certain temps se passe. Puis la canonnade reprend, et rapidement devient feu roulant. Cette fois c’est à devenir fou. Elle dure un temps qui me semble un siècle. Le jour commence à poindre. Un regard à ma montre: 7 heures 30. Déjà! Allons! je ne passerai pas aujourd’hui, ni jamais, c’est fini. Je bois la dernière goutte de mon bidon. Des mitrailleuses se mettent en branle et un combat doit s’engager légèrement en avant de moi parallèlement à la tranchée que j’ai à ma gauche. Il fait jour maintenant. Un peu de brouillard. Tout à coup des voix, des pas. Je lève la tête. Des hommes que je reconnais pas tout d’abord marchent, courent dans la tranchée. Ils viennent de l’avant. Puis les casques me frappent.
“ Englishmen! Englishmen! Yes! Français! Frenchman! French prisoner etc..” Je débite tout mon répertoire anglais qui, hélas! ne va guère loin. Deux grands diables arrivent sur moi baïonnette baissée, un troisième me met en joue. Je sors rapidement, fébrilement mon képi de ma musette et crie à tue-tête toutes mes locutions de tout-à-l’heure. Puis je déboucle en même temps mon pantalon allemand et exhibe mon pantalon rouge. Une certaine hésitation chez les grands diables. Les fusils se relèvent. L’un des Australiens s’empare de mon képi, de ma lampe électrique, d’une boîte de cigarettes, et un troisième m’empoigne sous le bras et me fait filer à sa suite dans la tranchée. Je passe à l’endroit où tout à l’heure j’avais reculé, et cette fois, pas d’impression d’horreur, ni autre. Sauvé! c’est tout ce qui vient à ma pensée. Sauvé!
Fait à l’E.M. de la Ve armée britannique, le 5 mars 1917.
Renseignements complémentaires d’ordre général.
État d’esprit, moral, etc des soldats allemands avec lesquels j’ai pu m’entretenir.
a) Sentinelles ayant notre garde.
Ces sentinelles étaient pour la plupart originaires de Bavière et de Mecklenbourg ( Brême-Hambourg), ne portaient pas d’inscription sur le col et avaient pattes d’épaules bleues. L’âge était très variable: j’ai noté de très vieilles classes ( 44 ans) et de très jeunes (21). Le détachement qui est venu nous prendre à Giessen devait être composé uniquement de Bavarois renvoyés dans leurs foyers comme “untauglich” et rappelés spécialement pour notre conduite. Je n’ai pu savoir d’où provenaient les Mecklenbourgeois; je les ai remarqués seulement après notre arrivée à Favreuil. Le chef de détachement était un officier d’un certain âge, grisonnant, les yeux hagards, et sur lequel, déjà à Giessen, j’avais communiqué mon impression à mes camarades en leur disant qu’il me faisait l’effet d’un fou. Je ne puis préciser s’il portait 1 ou 2 étoiles, mais il me semble avoir entendu un jour l’appellation de “Leutenant Biermann(?)” Il lui était adjoint un autre officier, sans étoiles, et d’un air assez jeune ( 25 à 30 ans) et à notre arrivée à Favreuil plusieurs “Feldwebel” munis de bâtons dont ils savaient faire usage.
Le jour même de notre arrivée à Favreuil ( dimanche 11 février) un jeune Allemand servant d’interprète et que nos interprètes à nous traitaient pompeusement du titre de “Herr Schmidt” nous annonça en un français tourmenté l’autorisation d’écrire que nous étions en représailles. Il ajouta une phrase qui ma frappa. A la question de l’un de nous demandant quels travaux nous ferions, il répondit à peu près en ces termes:”je n’en sais rien, mais probablement des travaux de défense car nous avons l’intention de reculer nos lignes; mais cela, naturellement, vous n’avez pas le droit de l’écrire.” Depuis j’ai pu constater que ce bruit de recul courait déjà un peu partout et que certaines sentinelles s’accordaient à causer d’un recul jusque devant Cambrai où se trouverait une position importante. D’où venait le bruit? Le fait est qu’il était assez courant. Les sentinelles que je tiens pour les plus sensées me disaient que “naturellement ce recul n’aurait pas lieu du jour au lendemain, mais serait plutôt le résultat dû à une poussée anglaise.” Ce sont là d’ailleurs des opinions purement personnelles de gens n’ayant peut-être pas la compétence nécessaire pour juger une telle question. Les conversations que j’eu avec diverses sentinelles me laissèrent l’impression générale d’un moral affaibli, d’une lassitude croissante. La longueur de la guerre, la difficulté pour leur esprit d’en concevoir la fin, depuis le rejet de l’offre de leur empereur, les privations de leurs familles à l’intérieur, leur rationnement en vivres à eux-mêmes, là sur le front, contribuèrent à les démoraliser profondément. Certes, j’ai eu l'occasion de tomber également sur quelques fanatiques, sur quelques-uns qui font encore montre de sentiments enthousiastes, mais j’ai la conviction que ceux-là même “bluffent” et qu’ils ne bluffent que parce qu’ils ont un Français devant eux. D’autres, par contre, vont plus loin dans le sens opposé, et je me souviens entre autres d’un vieux Bavarois qui me confessa un jour que le plus grand ennemi du Bavarois était encore le Prussien. Et en me disant cela, en plein air, loin de toute oreille, il portait ses regards à droite et à gauche et terminait en m’assurant que “ cela resterait entre nous”, ce qui me fit penser que la discipline est encore là et tient toujours.
Comme nourriture, ces sentinelles touchaient le matin le café, le soir une soupe qui, d’après certains, était assez claire, et, par jour, 500 grammes de pain noir avec un peu de saindoux, ou de lard, ou de marmelade. Ils étaient logés dans des baraques en bois voisines des nôtres.
Mais je n’ai jamais pu risquer un oeil. Leurs rapports avec nous étaient différents suivant que nous nous trouvions au camp ou au travail. Au camp, la proximité de leurs gradé caractérisés par le bâton, ils étaient presque inabordables et répondaient à peine. Au travail, l’espace étant plus vaste, et l’oeil du Unteroffizier plus éloigné, on causait plus volontiers. En général, on nous plaignait, nous donnait même de temps à autres quelques cigarettes, un morceau de pain. Pour ma part, je me souviens avoir reçu un jour une tartine de pain d’une vieille sentinelle, autrefois maçon dans les environs de Berlin. Dès le début, ma préoccupation fut d’apprendre si ces gens là savaient quelque chose à notre sujet et ce qu’on leur en disait. J’appris ainsi que la majorité était convaincue que nous étions bien ici par représailles, parce que certains des leurs, prisonniers derrière les fronts français et anglais, avaient réussi à s’évader et racontaient leurs misères. J’en rencontrai plusieurs qui doutaient cependant et auxquels je réussissais à demi à faire comprendre que nous étions peut-être là par suite du manque de bras de l’Allemagne, et sous le couvert de mesures de représailles dans le but d’exécuter un travail infâme pour lequel leur état-major n’avait plus assez de monde. Ces exceptions mises à part, l’opinion prévalant était celle donnée par la presse depuis janvier déjà et ressassée par tous leurs gradés. Lorsque l’un de nous se plaignait, il lui était répondu:”Écrivez à votre gouvernement qu’il renvoie les nôtres et vous partirez aussi.” Les ordres donnés aux sentinelles et nous concernant étaient sévères. Il leur était recommandé de nous pousser au travail, de faire usage de la crosse même, et absolument défendu de nous parler ou de nous faire passer quoi que ce soit. Ces ordres n’étaient que rarement suivis à la lettre. Cependant, sur les derniers temps les consignes devaient avoir encore été renforcées car il était plus difficile d’entrer en conversation. Les nouvelles de l’intérieur ne leur arrivaient que très irrégulièrement; depuis deux semaines leur correspondance était suspendue et quant aux journaux, il était impossible de s’en procurer. Seuls, les officiers devaient les recevoir. Tous ces gens, qui pour la plupart avaient une idée très vague de la situation géographique de l’endroit ( les uns plaçaient Bapaume en des positions les plus diverses) s’accordaient à se trouver mieux ici qu’en avant ( noch besser hier als vorn: tel était leur mot). Tous faisaient du front une description effrayante et se demandaient comment leurs camarades pouvaient encore y tenir. C’est par leurs racontars que j’appris que les hommes étaient simplement dans les trous d’obus, et ce fut ce qui me fortifia dans mon projet d’évasion.
Questionnés sur la durée et la fin de la guerre, leurs réponses étaient des plus variées. L’opinion dominante étaxit cependant celle-ci: on s’attend à une grosse offensive alliée au printemps; elle s’arrêtera après un gain de quelques kilomètres, et les difficultés croissant par suite de la nouvelle guerre sous-marine, on s’arrangera cet été. J’en ai rencontré qui ne voient pas sans inquiétude l’accroissement de forces de l’armée anglaise, mais tous espèrent une solution grâce à la campagne sous-marine.
b) Armierungssoldaten
Originaires de la Posnanie et Haute Silésie. Polonais parlant le polonais entre eux. Beaucoup causant très mal l’allemand. Cadres subalternes ( sous-officiers) également polonais entre-mêlés d’Allemands purs. Pattes d’épaules portant le N°51. Moral encore plus mauvais que nos sentinelles. Même nourriture. Astreints au travail sans interruption de 7 heures du matin à 4 heures le soir. Là, on ne se gênait pas pour se plaindre, et nous avions l’impression de nous trouver en présence de prisonniers comme nous. Je me suis demandé comment ces gens pouvaient résister depuis des années à un tel travail étant si peu nourris. Tous ceux à qui j’ai parlé étaient d’intelligence et d’instruction plutôt médiocres, et je n’ai pu en conséquence en tirer autre chose que des renseignements sur leur situation matérielle et des racontars sans grande valeur au sujet de leurs opinions et de leur façon d’envisager la guerre. En général, tous désirent une fin quelle qu’elle soit. Ils étaient cantonnés à Gomiécourt, pour la plupart n’avaient jamais vu le feu, et toujours sur le front occidental. Partageaient volontiers tabac et pain avec ceux qui leur en demandaient. En général, mal vêtus et mal chaussés; menacés de l’envoi au front s’ils se faisaient porter malades et n’étaient pas reconnus ( à titre secondaire leur haine envers leur officier, lieu tenant de réserve venant de temps à autre parader à cheval sur le terrain, originaire de Breslau et agent d’assurances dans le civil. Suivant eux, il toucherait 800 marks par mois comme Kompaniefurer, mangerait comme un ogre, et serait très dur dans le service). Je me souviens avoir causé un jour assez longuement, me trouvant en compagnie d’un aspirant français, avec un Vizefeldwebel ayant plusieurs années de service. Nous abordâmes diverses questions, et entre autres celle relative à une fin possible de la guerre. Et je recueillis l’opinion suivante: “que la guerre aurait pu se terminer lors de l’offre de paix de décembre, que l’on se serait arrangé et retourné chez soi en payant chacun les pots cassés”. Comme je lui parlais d’annexion et de la Belgique, il me répondit que c’était impossible et qu’il n’en croyait rien. De là il en vint rapidement à l’idée générale qui me semble être l’obsession d’aujourd’hui en Allemagne, c’est-à-dire la fin de la guerre dans 3 mois par la campagne sous-marine.
Renseignements d’ordre militaire technique constatés ou recueillis lors de mon séjour à l’arrière du front allemand.
Habitants civils.
N’ai pu constater si les civils restaient à Favreuil n’en ai jamais entendu causer. Ai constaté la présence de civils dans les villages de Béhagnies, Sapignies, Ervillers jusqu’au dimanche 18 février. Ce jour, le passage sur route nous rendant au travail, j’ai vu à Béhagnies, rassemblés sur un chemin voisin du nôtre, un groupe d’habitants avec bagages légers ( caisses à main ou sacs tyroliens ; pas de voitures) nous ont fait signe d’adieu et crié qu’ils évacuaient. Depuis, n’ai plus vu aucun habitant dans ces villages.
Préparatifs d’évacuation allemande.
Logés à la lisière de Favreuil, n’ai pu me rendre compte de ce qui s’y passait à ce sujet. J’ai vu dans les villages de Sapignies et Béhagnies que nous traversions pour nous rendre de Favreuil au travail les objets les plus divers rassemblés en tas aux abords de la route ( objets en fer tels que: machines agricoles, cercles de tonneaux, fourneaux, tôles, gouttières, etc..) Ai été également plusieurs fois témoin, ainsi que tous mes camarades d’ailleurs, du chargement et transport sur charrettes et chariots des objets les plus disparates, mais en particulier: mobiliers, sommiers, lits, chaises, machines à coudre, tables, bancs, etc.. provenant des habitations évacuées. A distance, et sur le terrain où se trouvait la tranchée, j’ai assisté au transport par voie étroite de tout un matériel qui me semblait provenir d’un dépôt de génie situé dans la direction d’Achiet ou Gomiécourt (traverses, rails, poutres). De ce même terrain (entre Béhagnies et Ervillers, ouest, route d’Arras) j’ai également assisté à la démolition et au transport par chariots de plusieurs baraques en bois et du mobilier qu’elles contenaient ( tables, chaises, cuvettes, sommiers). Ces baraques devaient être le logement des officiers attachés au ballon captif abrité dans le voisinage. Toujours du même endroit, ai vu le départ de 2 canons anti-avions enterrés à proximité de nous ( vendredi 23 après-midi). Vu départ du ballon captif dans la matinée du lundi 26. Il était tiré par une équipe de soldats et s’est éloigné vers l’est après avoir traversé la route d’Arras. Entendu dimanche 25, alors que nous revenions du travail, une détonation puis vu une colonne de fumée dans Béhagnies où nous étions logés depuis vendredi 23. C’était l’église de Béhagnies, minée, que les Allemands venaient de faire sauter. Ai entendu dire par camarades logés dans l’église d’Ervillers que celle-ci était minée. De plus, beaucoup de sentinelles sont d’accord pour dire que tout est miné dans les villages; tous les puits, toutes les maisons importantes, les églises et les routes ou points de passage. Je n’ai rien pu constater moi-même à ce sujet. Le vendredi 23, alors que nous nous rendions de Favreuil à Béhagnies, sommes passés sur route d’Arras à côté d’un train d’équipages en stationnement (chevaux tournés vers Arras) comprenant: caissons, cuisines, voitures, etc. Ai demandé à un soldat en passant : ”où allez-vous? - Cambrai - Relève de Division? - Oui. - L’autre division est elle déjà là? - Oui, cette nuit, en position en avant!” Tous ces conducteurs avaient l’air joyeux, et j’en ai déduit qu’ils venaient du front pour aller au repos à Cambrai.
Dans les derniers jours que j’ai passés à Béhagnies, on causait, le bruit circulait de notre prochain départ du village. Certains voulaient savoir que nous irions à Vaulx-Vraucourt, d’autres voyaient les représailles terminées, notre départ pour Cambrai d’abord, et l’Allemagne ensuite. Qu’y avait-il de vrai ? Je préfère ne pas être resté là-bas pour le connaître. »
Source : SHAT